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La Libération : les Canadiens en Europe - Chef - Personnel militaire

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aussi que l’âme de l’efficacité sur le champ de<br />

bataille réside dans ces facteurs intangib<strong>les</strong>, mais<br />

ess<strong>en</strong>tiels, que sont le moral et la motivation.<br />

À cette époque, le psychiatre de campagne de la<br />

3 e Division, le major Robert Gregory, comm<strong>en</strong>ce<br />

à se soucier du moral parce que la plupart de ses<br />

pati<strong>en</strong>ts sont maint<strong>en</strong>ant des victimes d’épuisem<strong>en</strong>t<br />

nerveux. Il signale « un symptôme qu’on observe<br />

chez tous <strong>les</strong> soldats souffrant d’épuisem<strong>en</strong>t :<br />

l’abs<strong>en</strong>ce de moral ou de volonté de continuer. <strong>La</strong><br />

cause prédominante de cette attitude semble être<br />

l’impuissance. Les hommes prét<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t n’avoir ri<strong>en</strong><br />

à espérer : pas de repos, pas de congé, pas de plaisir,<br />

pas de vie normale et pas d’évasion. Les seu<strong>les</strong><br />

manières d’échapper au combat sont la mort, <strong>les</strong><br />

b<strong>les</strong>sures, <strong>les</strong> mutilations volontaires et la folie. » 72<br />

En outre :<br />

Ce sont des hommes qui se batt<strong>en</strong>t depuis 4 ou<br />

5 mois et qui possédai<strong>en</strong>t toutes <strong>les</strong> qualités<br />

nécessaires pour traverser Ca<strong>en</strong>, Falaise, etc. Ils<br />

ont vu leurs unités décimées. Enfin de compte,<br />

ils ont craqué, souv<strong>en</strong>t après une expéri<strong>en</strong>ce qui<br />

n’était pas nouvelle pour eux, comme la perte<br />

d’un ami ou la destruction d’un char. Pour t<strong>en</strong>ter<br />

de déterminer ce qui <strong>les</strong> a fait s’effondrer à<br />

ce mom<strong>en</strong>t plutôt qu’à un autre, j’ai posé de<br />

nombreuses questions, et je crois que la réponse<br />

est la suivante : depuis des mois, ils n’ont connu<br />

que le sommeil de ceux qui sont perpétuellem<strong>en</strong>t<br />

sur leurs gardes. Les conditions hiverna<strong>les</strong> qui se<br />

mett<strong>en</strong>t graduellem<strong>en</strong>t à régner <strong>en</strong> l’abs<strong>en</strong>ce<br />

d’un toit au-dessus de la tête jou<strong>en</strong>t aussi un rôle,<br />

mais ce qui est plus important <strong>en</strong>core, c’est<br />

l’incapacité, pour le sujet, de ri<strong>en</strong> distinguer d’autre,<br />

dans l’av<strong>en</strong>ir, que du malheur et du danger. Il se<br />

dit que cet av<strong>en</strong>ir devra bi<strong>en</strong> pr<strong>en</strong>dre fin un jour,<br />

mais, à ce stade, il lui apparaît comme une<br />

éternité. Le plus important de tout, je crois, c’est<br />

qu’il a jusque-là éprouvé le s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t, si ridicule<br />

puisse-t-il sembler, qu’il ne mourra jamais vraim<strong>en</strong>t,<br />

et que maint<strong>en</strong>ant, il comm<strong>en</strong>ce à s<strong>en</strong>tir qu’il est<br />

un homme marqué, qu’une balle porte son nom.<br />

Un problème particulièrem<strong>en</strong>t épineux consiste à<br />

distinguer <strong>les</strong> cas relevant de la médecine de ceux<br />

de la discipline. Plus on s’éloigne du front, et plus<br />

<strong>les</strong> observateurs sont invariablem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>clins à<br />

considérer comme un tire-au-flanc ou un lâche<br />

quiconque fait montre d’un comportem<strong>en</strong>t indiscipliné.<br />

Les soldats du front sont plus tolérants, car ils se<br />

r<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t compte que chacun d’<strong>en</strong>tre eux possède son<br />

propre point de rupture. Un psychiatre décrira<br />

la futilité de toute t<strong>en</strong>tative visant à simplifier <strong>les</strong><br />

explications complexes du comportem<strong>en</strong>t :<br />

L’attitude des médecins régim<strong>en</strong>taires divise<br />

ceux-ci <strong>en</strong> deux catégories. A) Certains estim<strong>en</strong>t<br />

qu’on augm<strong>en</strong>te la contagion de l’épuisem<strong>en</strong>t<br />

<strong>en</strong> permettant l’évacuation d’un nombre d’hommes<br />

54<br />

un tant soit peu considérable. Ces médecins<br />

r<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t l’évacuation très difficile et incit<strong>en</strong>t <strong>les</strong><br />

officiers combattants à conserver au front<br />

l’homme qui a simplem<strong>en</strong>t « la frousse ». Les<br />

évacuations pour cause d’épuisem<strong>en</strong>t sont<br />

donc relativem<strong>en</strong>t rares et l’efficacité de l’unité<br />

risque d’<strong>en</strong> souffrir dans une certaine mesure.<br />

Un médecin régim<strong>en</strong>taire a déclaré qu’on<br />

lui reprochait le grand nombre d’abs<strong>en</strong>ts sans<br />

permission de son unité, car <strong>les</strong> officiers<br />

combattants estimai<strong>en</strong>t que ces hommes aurai<strong>en</strong>t<br />

normalem<strong>en</strong>t dû être évacués plus tôt pour<br />

cause d’épuisem<strong>en</strong>t. B) <strong>La</strong> majorité des médecins<br />

régim<strong>en</strong>taires, cédant peut-être à l’insistance<br />

des autres officiers, estim<strong>en</strong>t que la contagion est<br />

plus forte si ces hommes demeur<strong>en</strong>t au front,<br />

où ils démoralis<strong>en</strong>t leurs camarades, et évacu<strong>en</strong>t<br />

donc la plupart des victimes d’épuisem<strong>en</strong>t dès<br />

l’apparition du mal.<br />

D’autres complexités du comportem<strong>en</strong>t<br />

contribu<strong>en</strong>t à nuire à l’efficacité au combat. Dans<br />

un questionnaire que de nombreux officiers<br />

b<strong>les</strong>sés rempliss<strong>en</strong>t p<strong>en</strong>dant leur conva<strong>les</strong>c<strong>en</strong>ce<br />

<strong>en</strong> Angleterre, l’un d’eux explique comm<strong>en</strong>t<br />

la contagion et la démoralisation peuv<strong>en</strong>t nuire au<br />

moral et à l’efficacité sur le champ de bataille.<br />

Il s’agit là d’un sujet sur lequel j’ai une opinion<br />

bi<strong>en</strong> arrêtée. Les hommes peuv<strong>en</strong>t être physiquem<strong>en</strong>t<br />

et m<strong>en</strong>talem<strong>en</strong>t fatigués, et conserver malgré tout<br />

un bon moral, mais, si un homme craque, sa<br />

peur est contagieuse. Un seul homme peut saper<br />

le moral de toute une compagnie. À plusieurs<br />

reprises, on a <strong>en</strong>voyé des hommes chez le médecin<br />

pour cause d’« épuisem<strong>en</strong>t nerveux ». L’état de<br />

leurs nerfs leur <strong>en</strong>levait toute valeur dans un<br />

bataillon d’infanterie. Pourtant, au bout de<br />

quelques jours, on <strong>les</strong> r<strong>en</strong>voyait au bataillon. Dès<br />

l’attaque suivante, ou dès que nous essuyions<br />

un feu nourri, ces hommes craquai<strong>en</strong>t de nouveau.<br />

Un jour, le plan du bataillon exigeait que <strong>les</strong><br />

quatre compagnies s’<strong>en</strong>fonc<strong>en</strong>t au cœur d’un<br />

bois t<strong>en</strong>u par l’adversaire, puis pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t à<br />

revers un redoutable c<strong>en</strong>tre de résistance <strong>en</strong>nemi.<br />

Nous devions avancer toute la nuit pour attaquer<br />

à l’aube. Lorsque je suis rev<strong>en</strong>u du briefing du<br />

bataillon, à 23 h, j’ai trouvé des hommes <strong>en</strong> train<br />

de pleurer, et d’autres qui vomissai<strong>en</strong>t. Ils se<br />

s<strong>en</strong>tai<strong>en</strong>t tous découragés. Ce gâchis était l’œuvre<br />

de deux hommes dont nous nous étions déjà<br />

défaits, mais qu’on nous avait r<strong>en</strong>voyés. Nous<br />

avons dû <strong>les</strong> laisser derrière nous. Si <strong>les</strong> hommes<br />

de la compagnie n’avai<strong>en</strong>t pas été aussi fatigués,<br />

72 Copp, Terry et McAndrew, Bill. Battle Exhaustion:<br />

Soldiers and Psychiatrists in the Canadian Army, 1939-1945,<br />

Montréal, McGill-Que<strong>en</strong>’s University Press, 1990,<br />

pp. 143-144.

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