ACTUELLES III. Chroniques algériennes, 1939-1958
ACTUELLES III. Chroniques algériennes, 1939-1958
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Albert Camus, <strong>ACTUELLES</strong> <strong>III</strong>. <strong>Chroniques</strong> <strong>algériennes</strong>, <strong>1939</strong>-<strong>1958</strong> (<strong>1958</strong>) 101<br />
ont été plus sûrs, il faut seulement qu'on ne stérilise par leur difficile<br />
effort par des flots de sang ou par une intransigeance aveugle.<br />
Les massacres de civils doivent être d'abord condamnés par le<br />
mouvement arabe de la même manière que nous, Français libéraux,<br />
condamnons ceux de la répression. Ou, sinon, les notions relatives d'in-<br />
nocence et de culpabilité qui éclairent notre action disparaîtraient<br />
dans la confusion du crime généralisé, dont la logique est la guerre totale.<br />
Déjà, depuis le 20 août, il n'y a plus d'innocents en Algérie, sauf<br />
ceux, d'où qu'ils viennent, qui meurent. En dehors d'eux, il n'y a que<br />
des culpabilités dont la différence est que l'une est très ancienne,<br />
l'autre toute récente.<br />
Telle est, sans doute, la loi de l'histoire. [150] Quand l'opprimé<br />
prend les armes au nom de la justice, il fait un pas sur la terre de l'injustice.<br />
Mais il peut avancer plus ou moins et, si telle est la loi de l'histoire,<br />
c'est en tout cas la loi de l'esprit que, sans cesser de réclamer<br />
justice pour l'opprimé, il ne puisse l'approuver dans son injustice, audelà<br />
de certaines limites. Les massacres des civils, outre qu'ils relancent<br />
les forces d'oppression, dépassent justement ces limites et il est<br />
urgent que tous le reconnaissent clairement. Sur ce point, j'ai une proposition<br />
à faire, qui concerne l'avenir et dont je parlerai bientôt.<br />
Reste l'intransigeance. Les militants clairvoyants du mouvement<br />
nord-africain, ceux qui savent que l'avenir arabe est commandé par<br />
l'accession rapide des peuples musulmans à des conditions de vie modernes,<br />
semblent parfois dépassés par un mouvement plus aveugle qui,<br />
sans souci des besoins matériels immenses de masses tous les jours<br />
multipliées, rêve d'un panislamisme qui se conçoit mieux dans les imaginations<br />
du Caire que devant les réalités de l'histoire. Ce rêve, respectable<br />
en soi, est pourtant privé d'avenir immédiat. Il est donc dangereux.<br />
Quoi qu'on pense de la civilisation technique, elle seule, malgré<br />
ses infirmités, peut donner une vie décente aux pays sous-développés.<br />
Et ce n'est pas par l'Orient que l'Orient se sauvera physiquement,<br />
[151] mais par l'Occident, qui, lui-même, trouvera alors nourriture dans<br />
la civilisation de l'Orient. Les travailleurs tunisiens ne s'y sont pas