ACTUELLES III. Chroniques algériennes, 1939-1958
ACTUELLES III. Chroniques algériennes, 1939-1958
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Albert Camus, <strong>ACTUELLES</strong> <strong>III</strong>. <strong>Chroniques</strong> <strong>algériennes</strong>, <strong>1939</strong>-<strong>1958</strong> (<strong>1958</strong>) 132<br />
fois, y ont fait prévaloir une conception diminuée du pouvoir qui traite<br />
alors l'innocent avec désinvolture et le coupable avec complaisance.<br />
L'État peut être légal, mais il n'est légitime que lorsque, à la tête de la<br />
nation, il reste l'arbitre qui garantit la justice et ajuste l'intérêt général<br />
aux libertés particulières. S'il perd ce souci, il perd son corps, il<br />
pourrit, il n'est plus rien qu'une anarchie bureaucratisée. Et la France<br />
devient comme ce ver qui se tortille à la recherche de sa tête.<br />
Comment s'étonner alors des incroyables nouvelles qui nous parviennent<br />
ces derniers jours ? Jean de Maisonseul, accusé d'un crime<br />
dont on reconnaît dans le privé qu'il ne l'a pas commis, est jeté en prison<br />
pendant que nos aboyeurs, profitant de son impuissance, se dépêchent<br />
de l'insulter. Mais la France, dans le même moment, livre à<br />
l'Égypte et à la Syrie des armes dont nos jeunes rappelés mesureront<br />
tôt ou tard l'efficacité. Je le demande avec gravité, et sans esprit de<br />
polémique : qui trahit son pays de celui qui souffre en prison pour avoir<br />
voulu, sans jamais manquer à ses devoirs, épargner des vies innocentes<br />
au sein de la guerre, ou de ceux qui déclarent sans broncher qu'ils<br />
exécutent des marchés dont le sang français fera la ristourne ? [196]<br />
Et toute la différence entre ces derniers et l'aspirant Maillot est-elle<br />
seulement que celui-ci n'a pas fait payer les armes qu'il livrait à l'ennemi<br />
? Vraiment, oui, on croit rêver, apprenant cela, mais on désespère<br />
aussi et l'on finit par admettre qu'un gouvernement laisse toucher<br />
sans réagir à la liberté d'un homme qu'il sait innocent. Celui qui pour<br />
mieux faire la guerre arme l'adversaire peut bien juger que l'innocence<br />
d'un homme n'est jamais mieux récompensée que par la prison et la<br />
diffamation. La faiblesse aussi devient un délire, et qui explique tous<br />
les égarements.<br />
Pour que cette faiblesse, cette dangereuse indifférence des mourants,<br />
ne s'installe pas définitivement à la tête de la nation, nous devons<br />
rappeler au gouvernement ses responsabilités, L'une de mes<br />
convictions est que les seuls hommes fermes sur leurs devoirs sont<br />
ceux qui ne cèdent rien sur leurs droits. A plus forte raison, ne pouvons-nous<br />
rien céder sur le droit de l'innocent emprisonné. La détention<br />
prolongée de Jean de Maisonseul est un scandale d'arbitraire