ACTUELLES III. Chroniques algériennes, 1939-1958
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Albert Camus, <strong>ACTUELLES</strong> <strong>III</strong>. <strong>Chroniques</strong> <strong>algériennes</strong>, <strong>1939</strong>-<strong>1958</strong> (<strong>1958</strong>) 90<br />
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L’Algérie déchirée<br />
L'ABSENTE<br />
Beaucoup de monde au Palais-Bourbon depuis trois jours ; une seule<br />
absente : l'Algérie. Les députés français, appelés à se prononcer sur<br />
une politique algérienne, ont mis cinq séances à ne pas se prononcer sur<br />
trois ordres du jour. Quant au gouvernement, il s'est montré d'abord<br />
farouchement déterminé à ne rien définir avant que l'Assemblée ne se<br />
soit prononcée. Puis, non moins résolument, il s'est décidé à demander,<br />
pour son absence de politique, la confiance d'une Chambre qui cherche<br />
dans le dictionnaire le sens des mots dont elle se sert La France, on le<br />
voit, continue. Mais, derrière elle, l'Algérie meurt.<br />
On voudrait ne pas accabler des hommes qui se débattent avec nos<br />
institutions comme Gilliatt avec la pieuvre gluante. Mais l'heure n'est<br />
pas à l'indulgence. L'ordre du jour, pour l'Algérie, c'est le sang. Les<br />
trois votes [134] de l'Assemblée vont se payer par de nouvelles morts.<br />
Aux bavardages répond le hurlement solitaire des égorgés, au maniement<br />
du dictionnaire celui des armes.<br />
Mais qui pense au drame des rappelés, à la solitude des Français<br />
d'Algérie, à l'angoisse du peuple arabe ? L'Algérie n'est pas la France,<br />
elle n'est même pas l'Algérie, elle est cette terre ignorée, perdue au<br />
loin, avec ses indigènes incompréhensibles, ses soldats gênants et ses<br />
Français exotiques, dans un brouillard de sang. Elle est l'absente dont<br />
le souvenir et l'abandon serrent le cœur de quelques-uns, et dont les<br />
autres veulent bien parler, mais à condition qu'elle se taise.