17.08.2013 Views

ACTUELLES III. Chroniques algériennes, 1939-1958

ACTUELLES III. Chroniques algériennes, 1939-1958

ACTUELLES III. Chroniques algériennes, 1939-1958

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

Albert Camus, <strong>ACTUELLES</strong> <strong>III</strong>. <strong>Chroniques</strong> <strong>algériennes</strong>, <strong>1939</strong>-<strong>1958</strong> (<strong>1958</strong>) 70<br />

tion de la consommation du fait du rationnement des autres denrées,<br />

on comprendra qu'isolée du monde extérieur, l'Algérie ne trouve pas<br />

sur son sol de quoi faire vivre sa population.<br />

Ce qu'on peut apercevoir de cette famine, en ce moment, a de quoi<br />

serrer le cœur. L'administration a dû réduire à 7 kg 500 par tête et<br />

par mois l'attribution de grains (les ouvriers agricoles en touchent 18<br />

kg de leur patron, mais il s'agit d'une minorité). Cela fait 250 grammes<br />

par jour, ce qui est peu pour des hommes dont le grain est la seule<br />

nourriture.<br />

Mais cette ration de famine, dans la majorité des cas, n'a pu être<br />

honorée. En Kabylie, dans l'Ouarsenis, dans le Sud Oranais, dans l'Aurès,<br />

pour prendre des points géographiques distants les uns des autres,<br />

on n'a pu distribuer que 4 à 5 kg par mois, c'est-à-dire 130 à 150<br />

grammes par jour et par personne.<br />

Comprend-on bien ce que cela veut dire [103] Comprend-on que,<br />

dans ce pays, où le ciel et la terre invitent au bonheur, des millions<br />

d'hommes souffrent de la faim ? Sur toutes les routes, on peut rencontrer<br />

des silhouettes haillonneuses et hâves. Au hasard des parcours,<br />

on peut voir des champs bizarrement retournés et grattés.<br />

C'est que des douars entiers sont venus y fouiller le sol pour en tirer<br />

une racine amère mais comestible, appelée la « tarouda » et qui, transformée<br />

en bouillie, soutient, du moins, si elle ne nourrit pas.<br />

Qu'y faire ? dira-t-on. Sans doute le problème est difficile. Mais il<br />

n'y a pas une minute à perdre, ni un intérêt à épargner, si l'on veut<br />

sauver ces populations malheureuses et si l'on veut empêcher que des<br />

masses affamées, excitées par quelques fous criminels, recommencent<br />

le massacre de Sétif. Je dirai dans mon prochain article les injustices<br />

qu'il faut faire disparaître et les mesures d'urgence qu'il faut provoquer<br />

sur le plan économique.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!