ACTUELLES III. Chroniques algériennes, 1939-1958
ACTUELLES III. Chroniques algériennes, 1939-1958
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Albert Camus, <strong>ACTUELLES</strong> <strong>III</strong>. <strong>Chroniques</strong> <strong>algériennes</strong>, <strong>1939</strong>-<strong>1958</strong> (<strong>1958</strong>) 75<br />
Depuis la conquête, il n'est pas possible de dire que la doctrine<br />
française coloniale en Algérie se soit montrée très cohérente. J'épar-<br />
gnerai au lecteur l'historique de ses fluctuations depuis la notion du<br />
royaume arabe, chère au second Empire, jusqu'à celle d'assimilation.<br />
C'est cette dernière idée qui, en théorie, a fini par triompher. Depuis<br />
une cinquantaine d'années, le but avoué de la France en Afrique du<br />
Nord était d'ouvrir progressivement la citoyenneté française à tous<br />
les Arabes. Disons tout de suite que cela est resté théorique. La politique<br />
d'assimilation a rencontré en Algérie même, et principalement<br />
auprès des grands colons ; une hostilité qui ne s'est jamais démentie.<br />
[110] Il existe tout un arsenal d'arguments, dont certains d'apparence<br />
convaincante, qui ont suffi jusqu'à présent à immobiliser l'Algérie<br />
dans l'état politique où nous l'avons trouvée. Je ne songerai pas à<br />
discuter ces arguments. Mais Il est possible de dire qu'en cette matière,<br />
comme en d'autres, il faut un jour choisir. La France devait dite<br />
clairement si elle considérait l'Algérie comme une terre conquise dont<br />
les sujets, privés de tous droits et gratifiés de quelques devoirs supplémentaires,<br />
devaient vivre dans notre dépendance absolue, ou. si elle<br />
attribuait à ses principes démocratiques une valeur assez universelle<br />
pour qu'elle pût les étendre aux populations dont elle avait la charge.<br />
La France, et c'est à son honneur, a choisi. Ayant choisi, et pour<br />
que les mots aient un sens, il fallait aller jusqu'au bout. Des intérêts<br />
particuliers se sont opposés à cette entreprise et se sont essayés à<br />
arrêter l'histoire. Mais l'histoire est toujours en mouvement et les<br />
peuples évoluent en même temps qu'elle. Aucune situation historique<br />
n'est jamais définitive. Et si l'on ne veut pas adopter l'allure de ses<br />
variations, il faut se résigner à la laisser échapper. C'est pour avoir<br />
ignoré ces vérités élémentaires que la politique française en Algérie<br />
est toujours de vingt ans en retard sur la situation réelle. Un exemple<br />
fera comprendre la chose.<br />
[111] En 1936, le projet Blum-Viollette a marqué le premier pas fait<br />
en avant, après dix-sept ans de stagnation, vers la politique d'assimilation.<br />
Il n'avait rien de révolutionnaire. Il revenait à conférer les droits<br />
civiques et le statut d'électeur à 60 000 musulmans environ. Ce pro-