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ACTUELLES III. Chroniques algériennes, 1939-1958

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Albert Camus, <strong>ACTUELLES</strong> <strong>III</strong>. <strong>Chroniques</strong> <strong>algériennes</strong>, <strong>1939</strong>-<strong>1958</strong> (<strong>1958</strong>) 122<br />

vers tout ce qu'on lui propose, on peut sentir en France, vous devez le<br />

savoir, la montée du doute et d'une méfiance parallèle qui risquent de<br />

s'installer si les Français, déjà impressionnés par le maintien, de la<br />

guerre du Rif après le retour du Sultan et par le réveil du fellaghisme<br />

en Tunisie, se voient contraints par le développement d'une lutte inexpiable,<br />

de penser que les buts de cette lutte ne sont pas seulement la<br />

justice pour un peuple, mais la réalisation, aux dépens de la France, et<br />

pour sa ruine définitive, d'ambitions étrangères. Le raisonnement que<br />

se tiendront alors beaucoup de Français est le symétrique de celui de<br />

la majorité des Arabes s'ils venaient perdant tout espoir, à accepter<br />

l'inévitable. Ce raisonnement consistera à dire : « Nous sommes [181]<br />

français. La considération de ce qu'il y a de juste dans la cause de nos<br />

adversaires ne nous entraînera pas à faire injustice à ce qui, dans la<br />

France et son peuple, mérite de survivre et de grandir. On ne peut pas<br />

nous demander d'applaudir à tous les nationalismes, sauf au français,<br />

d'absoudre tous les péchés, sauf ceux de la France. À l'extrémité où<br />

nous sommes et puisqu'il faut choisir, nous ne pouvons pas choisir autre<br />

chose que notre propre pays. »<br />

Ainsi, par le même raisonnement, mais tenu en sens inverse, nos<br />

deux peuples se sépareront définitivement et l'Algérie deviendra pour<br />

longtemps un champ de ruines alors que le simple effort de la réflexion<br />

pourrait aujourd'hui encore changer la face des choses et éviter<br />

le pire.<br />

Voilà le double danger qui. nous menace, l'enjeu mortel devant lequel<br />

nous nous trouvons. Ou nous réussirons, sur un point au moins,, à<br />

nous associer pour limiter les dégâts, et nous favoriserons ainsi une<br />

évolution satisfaisante, ou nous échouerons à nous réunir et à persuader,<br />

et cet échec retentira sur tout l'avenir. Voilà ce qui justifie notre<br />

initiative et décide de son urgence. C'est pourquoi mon appel sera plus<br />

que pressant. Si j'avais le pouvoir de donner une voix à la solitude et à<br />

l'angoisse de chacun d'entre nous, c'est avec cette voix que je<br />

m'adresse [182] rais à vous. En ce qui me concerne, j'ai aimé avec passion<br />

cette terre où je suis né, j'y ai puisé tout ce que je suis, et je n'ai<br />

jamais séparé dans mon amitié aucun des hommes qui y vivent, de quel-

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