ACTUELLES III. Chroniques algériennes, 1939-1958
ACTUELLES III. Chroniques algériennes, 1939-1958
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Albert Camus, <strong>ACTUELLES</strong> <strong>III</strong>. <strong>Chroniques</strong> <strong>algériennes</strong>, <strong>1939</strong>-<strong>1958</strong> (<strong>1958</strong>) 55<br />
Il faut maintenant généraliser ces tentatives, doter chaque centre<br />
d'une école de ce genre et éduquer techniquement un peuple dont<br />
l'adresse et l'esprit d'assimilation sont devenus proverbiaux.<br />
Cependant, rien ne peut mieux montrer à quel point tous les problèmes<br />
se tiennent en Kabylie que cette simple remarque : il est inutile<br />
de faire des ouvriers qualifiés si on ne leur offre pas de débouchés.<br />
Or, ces débouchés, pour le moment, se trouvent dans la [79] métropole.<br />
Et toute politique sera vaine qui ne facilitera pas l'émigration kabyle.<br />
À cet égard, la première chose à faire est de simplifier les formalités<br />
et la seconde de diriger l'émigration. Il est possible, à l'heure actuelle,<br />
de faire bénéficier les Kabyles des expériences de paysannat.<br />
Je ne veux pas évoquer 'ici les offres faites par l'Office du Niger. Il<br />
n'y a pas d'utilité à ce que les paysans kabyles aillent mourir pour des<br />
intérêts privés dans un pays meurtrier. Mais la colonie, si elle le voulait,<br />
pourrait distribuer encore près de 200,000 hectares en Algérie.<br />
En Kabylie même, près de Boghni, une expérience de ce genre est<br />
en cours dans les domaines de Bou-Mani. D'autre part, tout le sud de<br />
la France se dépeuple et il a fallu que des dizaines de milliers d'Italiens<br />
viennent coloniser notre propre sol.<br />
Aujourd'hui, ces Italiens s'en vont. Rien n'empêche les Kabyles de<br />
coloniser cette région. On nous a dit : « Mais le Kabyle est trop attaché<br />
à ses montagnes pour lei quitter. » Je répondrai d'abord en rappelant<br />
qu'il y a en France 50 000 Kabyles qui les ont quittées. Et je laisserai<br />
répondre ensuite un paysan kabyle à qui je posais la question et<br />
qui me répondit : « Vous oubliez que nous n'avons pas de quoi manger.<br />
Nous n'avons pas le choix. »<br />
[80] On nous dira alors : « Mais ces Kabyles reviendront dans leur<br />
patrie et abandonneront leurs terres. » Sans doute, mais qui ne voit<br />
que dans l'émigration kabyle, les générations se succèdent et que le<br />
propriétaire d'un terrain ne le laissera qu'après l'avoir vendu à un postulant<br />
plus jeune.