ACTUELLES III. Chroniques algériennes, 1939-1958
ACTUELLES III. Chroniques algériennes, 1939-1958
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Albert Camus, <strong>ACTUELLES</strong> <strong>III</strong>. <strong>Chroniques</strong> <strong>algériennes</strong>, <strong>1939</strong>-<strong>1958</strong> (<strong>1958</strong>) 87<br />
chacun, par ses excès renforçant les raisons, et les excès, de l'autre,<br />
la tempête de mort qui s'est abattue sur notre pays ne peut que croî-<br />
tre jusqu'à la destruction générale. Dans cette surenchère incessante,<br />
l'incendie gagne, et demain l'Algérie sera une terre de ruines et de<br />
morts que nulle force, nulle puissance au Monde, 'ne sera capable de<br />
relever dans ce siècle.<br />
Il faut donc arrêter cette surenchère et là se trouve notre devoir,<br />
à nous, Arabes et Français, qui refusons de nous lâcher les mains.<br />
Nous, Français, devons lutter pour empêcher que la répression ose<br />
être collective et pour que la loi française garde un sens généreux et<br />
clair dans notre pays ; pour rappeler [129] aux nôtres leurs erreurs et<br />
les obligations d'une grande nation qui ne peut, sans déchoir, répondre<br />
au massacre xénophobe par un déchaînement égal ; pour activer enfin<br />
la venue des réformes nécessaires et décisives qui relanceront la<br />
communauté franco-arabe d'Algérie sur la route de l'avenir. Vous,<br />
Arabes, devez de votre côté montrer inlassablement aux vôtres que le<br />
terrorisme, lorsqu'il tue des populations civiles, outre qu'il fait douter<br />
à juste titre de la maturité politique d'hommes capables de tels actes,<br />
ne fait de surcroît que renforcer les éléments anti-arabes, valoriser<br />
leurs arguments, et fermer la bouche à l'opinion libérale française qui<br />
pourrait trouver et faire adopter la solution de conciliation.<br />
On me répondra, comme on vous répondra, que la conciliation est<br />
dépassée, qu'il s'agit de faire la guerre et de la gagner. Mais vous et<br />
moi savons que cette guerre sera sans vainqueurs réels et qu'après<br />
comme avant elle, il nous faudra encore, et toujours, vivre ensemble,<br />
sur la même terre. Nous savons que nos destins sont à ce point liés que<br />
toute action de l'un entraîne la riposte de l'autre, le crime entraînant<br />
le crime, la folie répondant à la démence, et qu'enfin, et surtout,<br />
l'abstention de l'un provoque la stérilité de l'autre. Si vous autres,<br />
démocrates arabes, faillissez à votre tâche d'apaisement, notre action<br />
à nous, [130] Français libéraux, sera d'avance vouée à l'échec. Et si<br />
nous faiblissons devant notre devoir, vos pauvres paroles seront emportées<br />
dans le vent et les flammes d'une guerre impitoyable.