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ACTUELLES III. Chroniques algériennes, 1939-1958

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[125]<br />

Albert Camus, <strong>ACTUELLES</strong> <strong>III</strong>. <strong>Chroniques</strong> <strong>algériennes</strong>, <strong>1939</strong>-<strong>1958</strong> (<strong>1958</strong>) 85<br />

Mon cher Kessous,<br />

J'ai trouvé vos lettres à mon retour de vacances et je crains que<br />

mon approbation ne vienne bien tard. J'ai pourtant besoin de vous la<br />

dire. Car vous me croirez sans peine si je vous dis que j'ai mal à l'Algérie,<br />

en ce moment,. comme d'autres ont mal aux poumons. Et depuis le<br />

20 août, je suis prêt à désespérer.<br />

Supposer que les Français d'Algérie puissent maintenant oublier les<br />

massacres de Philippeville et d'ailleurs, c'est ne rien connaître au<br />

coeur humain. Supposer, inversement, que la répression une fois déclenchée<br />

puisse susciter dans les masses arabes la confiance et l'estime<br />

envers la France est un autre genre de folie. Nous voilà donc<br />

dressés les uns contre les autres, voués à nous faire le plus de mal<br />

possible, inexpiablement. Cette idée [126] m'est insupportable et empoisonne<br />

aujourd'hui toutes mes journées,<br />

Et pourtant, vous et moi, qui nous ressemblons tant, de même<br />

culture, partageant le même espoir, fraternels depuis si longtemps,<br />

unis dans l'amour que nous portons à notre terre, nous savons que nous<br />

ne sommes pas des ennemis et que nous pourrions vivre heureusement,<br />

ensemble, sur cette terre qui est la nôtre. Car elle est la nôtre et je<br />

ne peux pas plus l'imaginer sans vous et vos frères que sans doute vous<br />

ne pouvez la séparer de moi et de ceux qui me ressemblent.<br />

Vous l'avez très bien dit, mieux que je ne le dirai : nous sommes<br />

condamnés à vivre ensemble. Les Français d'Algérie, dont je vous remercie<br />

d'avoir rappelé qu'ils n'étaient pas tous des possédants assoiffés<br />

de sang, sont en Algérie depuis plus d'un siècle et ils sont plus<br />

d'un million. Cela seul suffit à différencier le problème algérien des<br />

problèmes posés en Tunisie et au Maroc 'où l'établissement français<br />

est relativement faible et récent. Le « fait français » ne peut être

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