ACTUELLES III. Chroniques algériennes, 1939-1958
ACTUELLES III. Chroniques algériennes, 1939-1958
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Albert Camus, <strong>ACTUELLES</strong> <strong>III</strong>. <strong>Chroniques</strong> <strong>algériennes</strong>, <strong>1939</strong>-<strong>1958</strong> (<strong>1958</strong>) 116<br />
demander d'accepter une trêve qui concernerait uniquement les civils<br />
innocents.<br />
J'ai donc seulement à justifier aujourd'hui cette initiative auprès<br />
de vous. Je vais tenter de le faire brièvement.<br />
Disons d'abord, et insistons sur ce point, que par la force des choses,<br />
notre appel se situe en dehors de toute politique. S'il en était autrement,<br />
je n'aurais pas qualité pour en parler. Je ne suis pas un homme<br />
politique, mes passions et mes goûts m'appellent ailleurs qu'aux<br />
tribunes publiques. Je n'y vais que forcé par la pression des circonstances<br />
et l'idée que je me fais parfois de mon métier d'écrivain. Sur le<br />
fond du problème algérien, j'aurais d'ailleurs, à mesure que les événements<br />
se précipitent et que les [171] méfiances, de part et d'autre,<br />
grandissent, plus de doutes, peut-être, que de certitudes à exprimer.<br />
Pour intervenir sur ce point, ma seule qualification est d'avoir vécu le<br />
malheur algérien comme une tragédie personnelle et de ne pas pouvoir,<br />
en particulier, me réjouir d'aucune mort, quelle qu'elle soit. Pendant<br />
vingt ans, avec de faibles moyens, j'ai fait mon possible pour aider à la<br />
concorde de nos deux peuples. On peut rire sans doute à la mine que<br />
prend le prêcheur de réconciliation devant la réponse que lui fait l'histoire<br />
en lui montrant les deux peuples qu'il aimait embrassés seulement<br />
dans une même fureur mortelle. Lui-même, en tout cas, n'est pas<br />
porté à en rire. Devant un tel échec, son seul souci ne peut plus être<br />
que d'épargner à son pays un excès de souffrances.<br />
Il faut encore ajouter que les hommes qui ont pris l'initiative de<br />
soutenir cet appel n'agissent pas non plus à litre politique. Parmi eux<br />
se trouvent des membres de grandes familles religieuses qui ont bien<br />
voulu appuyer, selon leur plus haute vocation, un devoir d'humanité. Ou<br />
encore des hommes que rien ne destinait, ni leur métier, ni leur sensibilité,<br />
à se mêler aux affaires publiques. Pour la plupart, en effet, leur<br />
métier, utile par lui-même à la communauté, suffisait à remplir leur<br />
vie. Ils auraient pu rester à l'écart, comme tant d'autres, et compter<br />
les [172] coups, quitte à exhaler de temps en temps quelques beaux<br />
accents mélancoliques. Mais ils ont pensé que bâtir, enseigner, créer,<br />
étaient des oeuvres de vie et de générosité et qu'on ne pouvait les