ACTUELLES III. Chroniques algériennes, 1939-1958
ACTUELLES III. Chroniques algériennes, 1939-1958
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Albert Camus, <strong>ACTUELLES</strong> <strong>III</strong>. <strong>Chroniques</strong> <strong>algériennes</strong>, <strong>1939</strong>-<strong>1958</strong> (<strong>1958</strong>) 69<br />
La famine est un fléau toujours redouté en Algérie, où les récoltes<br />
sont aussi capricieuses que les pluies. Mais en temps ordinaire, les<br />
stocks de sécurité prévus par l'administration française compensaient<br />
les sécheresses. Ces stocks de sécurité n'existent plus en Algérie depuis<br />
qu'ils ont été dirigés sur la métropole au bénéfice des Allemands.<br />
Le peuple algérien était donc à la merci d'une mauvaise récolte.<br />
Ce malheur est arrivé. Un seul fait en donnera l'idée. Sur tous les<br />
hauts plateaux de l'Algérie, il n'a pas plu depuis janvier. Ces terres<br />
démesurées sont couvertes d'un blé à [101] tête légère qui ne dépasse<br />
pas les coquelicots que l'on aperçoit jusqu'à l'horizon. La terre, craquelée<br />
comme une lave, est à ce point desséchée que, pour les semailles<br />
de printemps, il a fallu doubler les attelages. La charrue déchiquette<br />
un sol friable et poussiéreux qui ne retiendra rien du grain qu'on lui<br />
confiera. La récolte que l'on prévoit pour cette saison sera pire que la<br />
dernière, qui fut pourtant désastreuse.<br />
On me pardonnera de donner ici quelques chiffres. Les besoins<br />
normaux de l'Algérie, en grains, sont de 18 millions de quintaux. En<br />
règle générale, la production couvre à peu près la consommation, puisque<br />
la récolte de la saison 1935-1936 fut, par exemple, de 17,371,000<br />
quintaux de toutes céréales. Mais la saison dernière atteignit à peine 8<br />
715,000 quintaux, c'est-à-dire 40% des besoins normaux. Cette année-ci,<br />
les prévisions sont encore plus pessimistes, puisqu'on s'attend<br />
à une récolte qui ne dépassera pas 6 millions de quintaux.<br />
La sécheresse n'explique pas seule cette effrayante pénurie. Il<br />
faut y ajouter la diminution des emblavures, parce qu'il y a moins de<br />
semences, et aussi parce que le fourrage n'étant pas taxé, certains<br />
propriétaires inconscients ont préféré le cultiver plutôt que les [102]<br />
indispensables céréales. Il faut tenir compte encore des difficultés<br />
techniques du moment : usure du matériel (un sac qui coûtait 20 francs<br />
en coûte 500), rationnement du carburant, mobilisation de la maind'œuvre<br />
à l'extérieur. Si l'on ajoute à tous ces facteurs l'augmenta-