Le docteur Dethève appelé en consultation par l'empereur ... - AFEC

Le docteur Dethève et l'empereur Guangxu
Chez l'Empereur de Chine.
M. Jean Hess, l'explorateur dont l'Académie française a couronné le
mois dernier un beau livre, Y Âme nègre, vient d'accomplir un long
voyage en Extrême-Orient [...].
Dans le palais dont les murs sont couverts de pourpre et d'or, sous
le plus élevé de ces toits à la masse énorme, dessinée légère comme une
tente du désert, dans ce palais qui est un sanctuaire, vit l'homme que
cinq cents millions de sujets disent le Fils du Ciel et le maître de toutes
les existences... Dans cette enceinte de forteresse, à l'heure où l'on doit
dormir, quand les officiers, les scribes, les courtisans, les ministres et
les soldats se sont éloignés, c'est là que, pour les nuits au milieu de
centaines de femmes et de milliers d'eunuques, un seul homme reste...
chétif et pitoyable souverain, écrasé de son empire, de son ennui et de
son mal.
Ah ! si les dépêches disent vrai, s'il est mort, « monté sur le dragon
pour devenir un hôte d'en haut », je crois qu'on aurait tort de chercher
à sa fin une cause criminelle. Depuis longtemps il n'était en effet qu'un
incurable malade. C'est miracle même qu'il ait pu vivre tant d'années
dans la torture des rites, les inflexibles rites qui font là-bas d'un empereur,
lorsqu'il souffre dans sa chair ou dans son âme, un malheureux
plus à plaindre que le plus misérable de ses sujets. En 1898, lorsque
l'impératrice douairière eut le courage et la force de réprimer le « coup
d'État anglais » du faux réformateur Kang Youwei, on l'accusa d'avoir
assassiné l'empereur. Pour se justifier devant l'opinion européenne,
l'impératrice Tsi-An [Cian, 1837-1881, par confusion avec Cixi], sur
les conseils de son vieil ami Li Hongzhang, pria le ministre de France
d'envoyer son médecin au palais. Il s'agissait moins de soigner l'empereur
que de constater officiellement son existence. La constatation fut
faite par le docteur Dethève, qu'accompagnait M. Vissière, interprète
de la légation. Li Hongzhang m'a dit qu'il supposait, en la lui faisant
demander, que M. Pichon confierait cette mission au docteur Dépasse 42
lors de la disparition de l'empereur en 1908, en rappelant que « d'après un
rapport du docteur Dethève, dont la publication fit scandale, [l'empereur]
était un type parfait de névrosé » (« Autour du Trône Céleste »,
L'Illustration, 21 novembre 1908. Repris dans Les grands dossiers de
L'Illustration — La Chine, Paris, Sefag/L'Illustration, 1987, p. 88).
42 Le docteur Dépasse est décédé à Tianjin le mois précédent (janvier 1901).
Cf. T'oung Pao, 2 e série, 2, 1901, p. 96.
123