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Cuisine et Politique: le plat national existe-t-il? - Revue des sciences ...

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Pascal Hintermeyer<br />

La conquête de la fin de vie<br />

28<br />

soins palliatifs deviennent davantage<br />

qu’une médecine par défaut. Peut-être<br />

indiquent-<strong>il</strong>s même <strong>le</strong>s voies d’un ressourcement<br />

<strong>et</strong> d’un renouvel<strong>le</strong>ment de<br />

l’approche médica<strong>le</strong>.<br />

Après avoir brièvement r<strong>et</strong>racé l’origine<br />

du proj<strong>et</strong> palliatif <strong>et</strong> son implantation<br />

dans <strong>le</strong> système de soin français de<br />

la fin du XX e sièc<strong>le</strong>, nous montrerons<br />

qu’<strong>il</strong> correspond à une évolution du rapport<br />

social à la mort <strong>et</strong> qu’<strong>il</strong> présente<br />

une pluralité de significations à prendre<br />

en compte pour en évaluer la portée.<br />

L’institutionnalisation<br />

<strong>des</strong> soins palliatifs<br />

Conquérir la fin de vie suppose la<br />

possib<strong>il</strong>ité de lutter contre ce que la<br />

souffrance a de dégradant <strong>et</strong> d’obnub<strong>il</strong>ant<br />

afin de préserver une certaine qualité<br />

de vie jusqu’à la mort. Les soins palliatifs<br />

<strong>et</strong> <strong>le</strong>s techniques qui <strong>le</strong>ur sont<br />

associées se sont d’abord imposés en<br />

Angl<strong>et</strong>erre. L’hospice de Saint Christopher<br />

a été créé en 1967 dans la banlieue<br />

de Londres par Cicely Saunders. Il fut<br />

<strong>le</strong> premier hôpital exclusivement voué<br />

aux soins palliatifs. Il appréhendait la<br />

dou<strong>le</strong>ur comme un tout <strong>et</strong> se préoccupait<br />

de la soulager à la fois dans ses<br />

dimensions physiques, psychiques <strong>et</strong><br />

socia<strong>le</strong>s. Aujourd’hui encore l’Angl<strong>et</strong>erre<br />

reste très en avance par rapport à<br />

la France du point de vue <strong>des</strong> soins palliatifs<br />

<strong>et</strong> <strong>des</strong> moyens qui <strong>le</strong>ur sont<br />

consacrés.<br />

En 1987 s’est ouverte la première<br />

unité française de soins palliatifs sous la<br />

direction du Dr Abiven à l’hôpital inter<strong>national</strong><br />

de l’université de Paris. Ce<br />

médecin, qui s’est assuré <strong>le</strong> concours<br />

d’une association de bénévo<strong>le</strong>s, défend<br />

l’idée que <strong>le</strong>s soins palliatifs sont appelés<br />

à devenir une véritab<strong>le</strong> discipline<br />

médica<strong>le</strong>. Les services de ce type qui se<br />

sont créés depuis sont de p<strong>et</strong>ites structures<br />

prenant en charge <strong>des</strong> patients<br />

incurab<strong>le</strong>s jusqu’à <strong>le</strong>ur mort. Ceux-ci<br />

sont pour la plupart <strong>des</strong> cancéreux en<br />

phase avancée ou termina<strong>le</strong>. Cela a été<br />

confirmé par une enquête « un jour<br />

donné », menée <strong>le</strong> 17 Septembre 1998<br />

pour la première fois en France par <strong>le</strong>s<br />

Docteurs Larrouture, De la Tour, Gomas<br />

<strong>et</strong> Baulon. El<strong>le</strong> portait sur <strong>le</strong>s 15 unités<br />

de soins palliatifs de la région I<strong>le</strong>-de-<br />

France qui détiennent la moitié <strong>des</strong> lits<br />

disponib<strong>le</strong>s dans <strong>le</strong> pays. El<strong>le</strong> a montré<br />

■<br />

que 88% <strong>des</strong> patients qui <strong>le</strong>s occupaient<br />

ce jour-là étaient cancéreux. 1<br />

La p<strong>et</strong>ite ta<strong>il</strong><strong>le</strong> <strong>des</strong> unités de soins<br />

palliatifs fait qu’el<strong>le</strong>s ne concernent<br />

qu’une faib<strong>le</strong> proportion <strong>des</strong> mourants.<br />

D’où la création depuis 1989 d’équipes<br />

mobi<strong>le</strong>s de soins palliatifs qui se m<strong>et</strong>tent<br />

à la disposition <strong>des</strong> services qui font<br />

appel à el<strong>le</strong>s. Ces équipes ont vocation<br />

d’assurer par <strong>le</strong>urs activités de sensib<strong>il</strong>isation,<br />

de formation, de conse<strong>il</strong> <strong>et</strong> de<br />

traitement la diffusion de l’approche<br />

palliative dans l’ensemb<strong>le</strong> du système<br />

de soins. L’importance de ces initiatives<br />

a été reconnue par la loi hospitalière du<br />

31 Ju<strong>il</strong>l<strong>et</strong> 1991, qui a fait <strong>des</strong> soins palliatifs<br />

une mission <strong>des</strong> hôpitaux publics<br />

<strong>et</strong> un droit pour <strong>le</strong>s mala<strong>des</strong>.<br />

Le début <strong>des</strong> années 1990 a ainsi été<br />

un moment d’accélération de l’institutionnalisation<br />

<strong>des</strong> soins palliatifs en<br />

France. Ceux-ci devraient être de plus<br />

en plus proposés aux personnes qui vont<br />

mourir, que ce soit à l’hôpital, en institution<br />

ou à domici<strong>le</strong>. La ph<strong>il</strong>osophie <strong>et</strong><br />

<strong>le</strong>s procédés liés à la démarche palliative<br />

devraient ainsi se diffuser à la plupart<br />

<strong>des</strong> contextes de mort prochaine.<br />

Mais <strong>le</strong>s moyens disponib<strong>le</strong>s ne sont<br />

pas à la hauteur d’une tel<strong>le</strong> ambition.<br />

Même à l’hôpital, la majorité <strong>des</strong><br />

mala<strong>des</strong> en fin de vie ne bénéficient toujours<br />

pas de l’intervention d’une équipe<br />

de soins palliatifs. On peut ainsi estimer<br />

qu’une part significative <strong>des</strong> patients<br />

hospitalisés relèvent <strong>des</strong> soins palliatifs<br />

mais que <strong>le</strong>s trois quarts d’entre eux<br />

sont en fait suivis uniquement par <strong>le</strong>ur<br />

service d’hospitalisation.<br />

Pourtant la puissance publique s’est<br />

employée à la promotion <strong>des</strong> soins palliatifs.<br />

Les derniers présidents de la<br />

République ont pris position en <strong>le</strong>ur<br />

faveur, dévo<strong>il</strong>ant un consensus qui transcende<br />

<strong>le</strong>s clivages politiques. Des plans<br />

de lutte contre la dou<strong>le</strong>ur ont été adoptés.<br />

En 1998 <strong>le</strong> Secrétariat d’État à la<br />

santé <strong>et</strong> à l’action humanitaire a lancé<br />

un plan triennal de développement <strong>des</strong><br />

soins palliatifs « pour que chacun ait<br />

droit à une mort décente » En 2000 <strong>il</strong> y<br />

a en France à peu près 700 lits dans <strong>le</strong>s<br />

unités de soins palliatifs, environ 200<br />

équipes mobi<strong>le</strong>s de soins palliatifs <strong>et</strong><br />

quelque 200 associations qui <strong>le</strong>ur sont<br />

consacrées. La loi du 9 juin 1999 relative<br />

aux soins palliatifs <strong>et</strong> à l’accompagnement<br />

en fin de vie a notamment<br />

créé un congé sans solde d’accompagnement<br />

pour une durée de trois mois.<br />

Toutes ces dispositions <strong>et</strong> initiatives<br />

attestent que <strong>le</strong>s soins palliatifs sont<br />

depuis une douzaine d’années en cours<br />

d’institutionnalisation accélérée. À la<br />

fin du 2 e m<strong>il</strong>lénaire <strong>le</strong>s questions liées<br />

à la mort, aux conditions du mourir, au<br />

processus qui y conduit, aux soins <strong>et</strong> à<br />

l’accompagnement qu’<strong>il</strong> requiert, sont<br />

donc devenues une préoccupation,<br />

assumée au moins partiel<strong>le</strong>ment par<br />

l’État <strong>et</strong> <strong>le</strong> système de santé, introduite<br />

dans la législation <strong>et</strong> renvoyée à<br />

l’ensemb<strong>le</strong> de la société. Cela contraste<br />

avec <strong>le</strong> non-dit, voire <strong>le</strong> tabou, qui<br />

prévalait encore récemment au suj<strong>et</strong><br />

de la mort.<br />

L’évolution <strong>des</strong><br />

attitu<strong>des</strong> par rapport à<br />

la mort<br />

■<br />

La prise en compte <strong>des</strong> soins palliatifs<br />

est étroitement liée aux attitu<strong>des</strong><br />

par rapport à la mort <strong>et</strong> à <strong>le</strong>urs transformations<br />

dans la société contemporaine.<br />

De nombreux travaux historiques,<br />

anthropologiques, sociologiques,<br />

ont attiré l’attention sur la marginalisation<br />

de la mort dans la seconde moitié<br />

du XX e sièc<strong>le</strong> <strong>et</strong> sur <strong>le</strong>s processus de<br />

désocialisation, déformalisation, déritualisation<br />

de la mort. Cel<strong>le</strong>-ci est<br />

certes susceptib<strong>le</strong> de raviver <strong>le</strong>s solidarités<br />

entre <strong>le</strong>s survivants, mais cela<br />

suppose qu’el<strong>le</strong> soit reconnue col<strong>le</strong>ctivement,<br />

qu’el<strong>le</strong> donne lieu à <strong>des</strong> expressions,<br />

à <strong>des</strong> réactions, à <strong>des</strong> manifestations<br />

publiques, qu’el<strong>le</strong> soit recouverte<br />

de signes susceptib<strong>le</strong>s de lui donner du<br />

sens <strong>et</strong> d’inscrire la rupture qu’el<strong>le</strong> provoque<br />

dans une continuité à visage<br />

humain. Toute c<strong>et</strong>te élaboration autour<br />

de la mort est largement délaissée dans<br />

<strong>le</strong>s sociétés urbanisées d’aujourd’hui,<br />

entraînées dans un mouvement perpétuel<br />

qui accorde peu de temps à c<strong>et</strong>te<br />

immob<strong>il</strong>ité que représente la mort.<br />

Cel<strong>le</strong>-ci est alors communément vécue<br />

en catimini, furtivement <strong>et</strong> presque<br />

honteusement.<br />

Le déni de la mort est d’autant plus<br />

enraciné qu’<strong>il</strong> résulte de tendances fondamenta<strong>le</strong>s<br />

de la modernité. C<strong>et</strong>te dernière<br />

se caractérise notamment par une<br />

volonté de minorer la place de la mort<br />

dans la vie socia<strong>le</strong>. Au début du sièc<strong>le</strong><br />

déjà, Max Weber se demandait si, pour<br />

l’homme civ<strong>il</strong>isé, la mort avait encore un<br />

sens. Il répondait à c<strong>et</strong>te question par la<br />

Jochen Gerz, Tab<strong>le</strong>aux d’une exposition, 1973, Catalogue Jochen Gerz...<br />

négative <strong>et</strong> <strong>il</strong> ajoutait : « Parce que la<br />

mort n’a pas de sens, la vie du civ<strong>il</strong>isé<br />

comme tel<strong>le</strong> n’en a pas non plus. » 2<br />

De ce que la mort n’a plus de sens ou<br />

de ce qu’el<strong>le</strong> ne présente plus à nos<br />

yeux qu’un sens exclusivement négatif<br />

décou<strong>le</strong>nt <strong>le</strong>s principa<strong>le</strong>s caractéristiques<br />

<strong>des</strong> attitu<strong>des</strong> contemporaines<br />

face à la mort. Nous avons tendance à la<br />

considérer comme quelque chose d’inessentiel,<br />

qui résulte moins d’une<br />

nécessité de la condition humaine que<br />

d’une imperfection provisoire de nos<br />

techniques ou d’un accident. En feignant<br />

d’être surpris lorsque la mort<br />

arrive, nous justifions notre réticence à<br />

nous y préparer : dans <strong>le</strong> tourb<strong>il</strong>lon de<br />

la vie moderne, <strong>il</strong> est toujours trop tôt<br />

pour penser à notre mort future, <strong>il</strong> est<br />

toujours trop tôt aussi pour par<strong>le</strong>r de<br />

cel<strong>le</strong> <strong>des</strong> autres, même lorsqu’<strong>il</strong>s vont<br />

mourir.<br />

Ainsi, au seu<strong>il</strong> de la mort, la communication<br />

est souvent faussée : <strong>le</strong> mourant<br />

ne par<strong>le</strong> pas de sa mort prochaine pour<br />

éviter d’attrister ses proches <strong>et</strong> ceux-ci<br />

ne lui en par<strong>le</strong>nt pas pour ne pas lui<br />

saper <strong>le</strong> moral, si bien que l’interaction<br />

peut être caractérisée par ce que <strong>le</strong>s<br />

sociologues américains Glaser <strong>et</strong> Strauss<br />

appel<strong>le</strong>nt la conscience feinte mutuel<strong>le</strong>. 3<br />

Ces relations biaisées <strong>et</strong> plus généra<strong>le</strong>ment<br />

<strong>le</strong> malaise que provoque la mort<br />

dans la société contemporaine, <strong>le</strong> troub<strong>le</strong><br />

qu’el<strong>le</strong> crée dans <strong>le</strong>s services où el<strong>le</strong> se<br />

produit, ont pour conséquence ce qu’un<br />

autre sociologue, Norbert Elias, appel<strong>le</strong><br />

« la solitude <strong>des</strong> mourants ». 4 Face à une<br />

perspective désagréab<strong>le</strong>, voire inconvenante,<br />

nous avons tendance à nous<br />

décharger de la difficulté sur <strong>des</strong> spécialistes<br />

<strong>et</strong> sur <strong>le</strong>s techniques susceptib<strong>le</strong>s<br />

de la gérer dans la discrétion. Se<br />

<strong>des</strong>sine ainsi une conception substitutive<br />

du traitement <strong>des</strong> mourants.<br />

29<br />

<strong>Revue</strong> <strong>des</strong> Sciences Socia<strong>le</strong>s, 2001, n° 28, nouve@ux mon<strong>des</strong> ?

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