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Cuisine et Politique: le plat national existe-t-il? - Revue des sciences ...

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FRANÇOISE HEMMENDINGER<br />

158<br />

poétique, étranger aux renversements<br />

de l’histoire, <strong>le</strong>s effigies héroïques de<br />

Go<strong>et</strong>he <strong>et</strong> de Sch<strong>il</strong><strong>le</strong>r, sculptées par son<br />

époux, irradient une énergie viri<strong>le</strong>.<br />

Aux antipo<strong>des</strong> de ce goût, la maison<br />

de Théodore Aman est un bijou d’inspiration<br />

antique. Méda<strong>il</strong>lon, bas-relief,<br />

fronton, chapiteaux, colorés cou<strong>le</strong>ur<br />

bronze, se détachent comme <strong>des</strong><br />

appliques métalliques. Deux niches abritent<br />

<strong>des</strong> statues d’airain dont l’une<br />

représente Hercu<strong>le</strong> dans la tradition<br />

hellénistique d’un jeune homme jugé<br />

trop dénudé. Pour occuper sa niche, <strong>il</strong> a<br />

dû jouer du coude <strong>et</strong> sa nudité, soulignée<br />

par la peau du lion passée en baudrier,<br />

a été corrigée par un cache-sexe métallique<br />

: la feu<strong>il</strong><strong>le</strong> de vigne de Bacchus !<br />

Pénétrer dans l’atelier-salon procure<br />

un sentiment de bonheur. Là, dans<br />

un ang<strong>le</strong>, posé sur un cheval<strong>et</strong>, un<br />

tab<strong>le</strong>au représente la pièce. Le va-<strong>et</strong>vient<br />

du regard, de la peinture à son<br />

obj<strong>et</strong> <strong>et</strong> vice versa, emplit d’un étonnement<br />

progressif. Meub<strong>le</strong>s conçus par <strong>le</strong><br />

Maître, toi<strong>le</strong>s appendues aux murs, <strong>des</strong>sus<br />

de portes, décor mural, atmosphère,<br />

rien n’a changé, <strong>et</strong> l’on oublie si l’on<br />

regarde <strong>le</strong> lieu original ou son image,<br />

confondus dans un temps immobi<strong>le</strong>. A<br />

peine ose-t-on marcher par crainte de<br />

voir cesser <strong>le</strong> sort<strong>il</strong>ège ou de rencontrer<br />

<strong>le</strong> regard désapprobateur d’une femme<br />

de chambre.<br />

Seuls manquent <strong>le</strong>s visiteuses assises<br />

autour d’une tab<strong>le</strong>, l’amateur qui regarde<br />

l’œuvre s’esquisser sous <strong>le</strong> pinceau<br />

de l’artiste. Certes, Aman a physiquement<br />

disparu mais <strong>il</strong> demeure, virtuel<strong>le</strong>ment<br />

<strong>et</strong> concrètement. Sensations de<br />

confort, certitu<strong>des</strong> paisib<strong>le</strong>s d’une intimité,<br />

c<strong>et</strong>te «installation» est tout à la<br />

fois une vie de rêve <strong>et</strong> <strong>le</strong> rêve d’une vie.<br />

Ni d’aujourd’hui ni d’hier, l’ouverture<br />

à l’Europe <strong>des</strong> gens de Bucarest est de<br />

toujours.<br />

La sculpture publique témoigne de la<br />

parenthèse ubuesque de l’ère communiste.<br />

Dans <strong>le</strong> jardin de la fonderie<br />

coopérative <strong>des</strong> artistes gisent <strong>des</strong><br />

bronzes de l’art «bourgeois» décapité.<br />

Sur un soc<strong>le</strong> dévoré par l’herbe on lit la<br />

signature d’Antonin Mercié, sculpteur<br />

patriote français qui, après la guerre de<br />

1870, créa <strong>le</strong> groupe Gloria Victis. Nu, un<br />

jeune flûtiste tient un liteau en guise de<br />

traversière <strong>et</strong> un violoniste, en tenue de<br />

soirée, s’est figé dans <strong>le</strong> geste esquissé<br />

de son arch<strong>et</strong> évanoui. L’écho d’une<br />

époque brusquement s’est tu.<br />

A <strong>le</strong>ur tour, <strong>le</strong>s statues de Lénine <strong>et</strong> de<br />

P<strong>et</strong>ru Groza, renversées en 1990, gisent<br />

sur l’herbe, j<strong>et</strong>ées aux chiens, derrière <strong>le</strong>s<br />

cuisines du palais de Mogosoaia…<br />

Récemment inaugurée, la statue de<br />

Iuliu Maniu, mort dans <strong>le</strong>s geô<strong>le</strong>s communistes,<br />

est en passe de m<strong>et</strong>tre tout <strong>le</strong><br />

monde d’accord. Son torse fissuré, celui<br />

de la nation hum<strong>il</strong>iée, fait toujours bloc<br />

<strong>et</strong>, de son pied clownesque, la statue n’attend<br />

qu’une occasion pour botter définitivement<br />

<strong>le</strong> c… au passé totalitaire. 3 Notes<br />

■<br />

1. e-ma<strong>il</strong> : g<strong>il</strong>bert.gar<strong>des</strong>@wanadoo.fr<br />

2. S.O.S. signifie en fait SOSEA,<br />

chaussée (note de la Rédaction).<br />

3. C<strong>et</strong> artic<strong>le</strong>, traduit par Ioana<br />

Vlasiu, est publié en roumain<br />

dans Obsevator cultural.<br />

Sydney<br />

au bout <strong>des</strong> mon<strong>des</strong><br />

FRANÇOISE HEMMENDINGER<br />

Psychosociologue, Strasbourg<br />

Q<br />

uand l’Australie surgit au cours<br />

d’une phrase, certains regards<br />

s’étirent vers <strong>le</strong>s kangourous, <strong>le</strong>s<br />

déserts de cou<strong>le</strong>urs <strong>et</strong> la musique du didjiridoo1.<br />

D’autres adoptent un air vague.<br />

C’est loin, si loin qu’<strong>il</strong> ne reste qu’un<br />

point. Le bout du monde.<br />

Pour y arriver, 20 000 km<br />

dans <strong>le</strong>s airs<br />

■<br />

Long tunnel assourdissant, repas<br />

sous cellophane <strong>et</strong> lumière sous<br />

lucarnes. B<strong>le</strong>us décalés. Les repères<br />

s’enfuient dans ces sièges étroits, malgré<br />

quelques interlu<strong>des</strong> pour tenter<br />

d’agrémenter c<strong>et</strong>te durée nécessaire à<br />

parcourir la moitié de la terre.<br />

Et puis enfin, on arrive. Juste de<br />

tout p<strong>et</strong>its riens pour nous suggérer<br />

que nous sommes bien de l’autre côté du<br />

globe, down under 2 .<br />

Une lumière transparente, ravivée,<br />

intense à faire claquer <strong>le</strong>s reliefs <strong>et</strong> <strong>le</strong>s<br />

cou<strong>le</strong>urs. Les longs eucalyptus. Des<br />

bruits moins fam<strong>il</strong>iers. L’accent, diffici<strong>le</strong><br />

à distinguer. Le sens de la circulation<br />

qui déroute. Le sourire <strong>et</strong> la gent<strong>il</strong><strong>le</strong>sse<br />

immédiats <strong>des</strong> passants qui me<br />

ramènent à la réalité.<br />

Sydney n’est pas la<br />

capita<strong>le</strong>, mais la v<strong>il</strong><strong>le</strong><br />

pionnière d’Australie<br />

1788 The First F<strong>le</strong><strong>et</strong>, débarque dans<br />

la baie de Sydney avec ses bagnards, ses<br />

soldats <strong>et</strong> son contingent de marins.<br />

L’Angl<strong>et</strong>erre venait de perdre sa colonie<br />

américaine. El<strong>le</strong> cherchait à se défaire<br />

<strong>des</strong> fauteurs de troub<strong>le</strong>. Le rapport du<br />

capitaine Cook, relatant sa première expédition,<br />

était plutôt enthousiaste. Alors la<br />

■<br />

décision tombe : coloniser. Les Français<br />

avaient eux aussi, envoyé une mission. Les<br />

flottes se sont saluées dans Botany Bay. Les<br />

Français commandés par La Pérouse<br />

n’étaient là que pour observer, étudier. Les<br />

Anglais en ont profité pour s’instal<strong>le</strong>r. Il<br />

reste aujourd’hui un quartier qui porte <strong>le</strong><br />

nom du Français <strong>et</strong> un continent qui par<strong>le</strong><br />

anglais.<br />

À Sydney, j’ai entendu <strong>des</strong> langues<br />

de toutes <strong>le</strong>s sonorités 3 <strong>et</strong> rencontré <strong>des</strong><br />

visages qui racontaient <strong>des</strong> pays lointains.<br />

Le monde ne s’arrête pas à une<br />

cou<strong>le</strong>ur, une nation, <strong>il</strong> est multip<strong>le</strong>, pluriel<br />

comme l’ont été <strong>le</strong>s vagues d’émigration.<br />

C<strong>et</strong>te constellation d’origines<br />

constituent l’Australie. Les « aussies 4 »<br />

tiennent à c<strong>et</strong>te diversité d’identités. Ils<br />

<strong>le</strong> clament comme un étendard. De<br />

façon officiel<strong>le</strong>, dans <strong>le</strong>s discours, <strong>le</strong>s<br />

brochures <strong>et</strong> <strong>le</strong>s Jeux Olympiques, mais<br />

aussi dans la rue ou <strong>le</strong> métro. Cherchent<strong>il</strong>s<br />

à s’y rallier, s’en convaincre ou s’en<br />

protéger ?<br />

Les fondations<br />

de Sydney<br />

C<strong>et</strong>te histoire toute récente laisse<br />

entrevoir <strong>le</strong> temps d’avant, celui où <strong>le</strong>s<br />

Aborigènes parcouraient la baie de<br />

Sydney.<br />

Les Aborigènes sont <strong>le</strong>s premiers<br />

habitants de l’î<strong>le</strong> continent. Héritiers<br />

de <strong>le</strong>urs ancêtres, <strong>il</strong>s sont là pour garder<br />

<strong>le</strong> monde tel qu’<strong>il</strong> est, non pour <strong>le</strong> transformer.<br />

Pendant plus de 40 000 ans, <strong>le</strong>s<br />

peup<strong>le</strong>s Aborigènes ont développé une<br />

connaissance intime de <strong>le</strong>ur univers. Ils<br />

ont réussi à créer un art de vivre avec<br />

la nature. L’arrivée <strong>des</strong> Européens a<br />

fa<strong>il</strong>li tout annihi<strong>le</strong>r. Fa<strong>il</strong>li, car c<strong>et</strong>te<br />

civ<strong>il</strong>isation est toujours vivante, même<br />

si ses peup<strong>le</strong>s n’ont pas recouvré toute<br />

■<br />

159<br />

<strong>Revue</strong> <strong>des</strong> Sciences Socia<strong>le</strong>s, 2001, n° 28, nouve@ux mon<strong>des</strong> ?

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