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Cuisine et Politique: le plat national existe-t-il? - Revue des sciences ...

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Virginie Waechter<br />

La relation usager / service public : d’un modè<strong>le</strong> à l’autre<br />

ou vers la confusion <strong>des</strong> sphères d’action privée <strong>et</strong> publique<br />

56<br />

Image inférieure du parc, Osvaldo Pogliani, extr. L’ Arca Inter<strong>national</strong>...<br />

infléchissement peut être interprété<br />

comme la réponse à la doub<strong>le</strong> critique<br />

réformiste <strong>et</strong> gauchiste adressée à l’État-Providence<br />

: d’un côté on note <strong>le</strong>s<br />

eff<strong>et</strong>s aliénants d’un progrès « conçu au<strong>des</strong>sus<br />

<strong>des</strong> individus »; de l’autre on<br />

craint la déresponsab<strong>il</strong>isation <strong>et</strong> l’incivisme,<br />

liés à l’extériorité de l’individu<br />

par rapport au progrès. Selon c<strong>et</strong>te <strong>le</strong>cture,<br />

la modernisation du service public<br />

apparaît comme une tentative de relégitimation<br />

de l’action publique.<br />

La théorie classique du service<br />

public, adossée à une conception transcendante<br />

de l’intérêt général, fait ainsi<br />

l’obj<strong>et</strong> d’un aggiornamento qui vise à<br />

rapprocher l’action publique <strong>des</strong> réalités<br />

concrètes. Comme <strong>le</strong> montre <strong>le</strong> glissement<br />

dans l’ordre du discours de<br />

l’idée de progrès vers cel<strong>le</strong> de modernisation,<br />

on attend moins désormais de<br />

l’État de m<strong>et</strong>tre en œuvre une vision<br />

globa<strong>le</strong> du monde, que de s’interroger<br />

sur son propre rô<strong>le</strong>, sur son mode de<br />

fonctionnement <strong>et</strong> d’organisation au<br />

sein d’une société de plus en plus comp<strong>le</strong>xe.<br />

L’État n’est plus producteur de<br />

va<strong>le</strong>urs servant de référentiel à la<br />

régulation socia<strong>le</strong>, ni par là créateur de<br />

besoins sociaux. Il développe désormais<br />

une écoute socia<strong>le</strong> auprès <strong>des</strong> segments<br />

<strong>le</strong>s plus divers de la société,<br />

allant <strong>des</strong> groupes d’intérêts constitués<br />

à l’individu pris isolément.<br />

A en croire <strong>le</strong> discours officiel sur la<br />

modernisation du service public, tant au<br />

plan <strong>national</strong> que local, l’usager en tant<br />

qu’aigu<strong>il</strong>lon du changement, est la figure<br />

emblématique du mouvement de<br />

modernisation, à tel point que l’on a pu<br />

par<strong>le</strong>r de « modernisation par l’usager<br />

» 3 . Loin de nous toutefois l’idée que<br />

la « modernisation par l’usager » est un<br />

processus un<strong>il</strong>inéaire, prenant partout<br />

la même forme quel que soit son<br />

contexte d’inscription. 4<br />

Néanmoins, au-delà de c<strong>et</strong>te diversité,<br />

on s’aperçoit que la « modernisation<br />

par l’usager » s’accompagne de l’émergence<br />

de nouvel<strong>le</strong>s modalités de coordination<br />

entre <strong>le</strong>s services publics <strong>et</strong> <strong>le</strong>ur<br />

environnement social. On s’attachera à<br />

caractériser <strong>le</strong> passage d’un modè<strong>le</strong> de<br />

régulation de l’interface usager / service<br />

public fondé sur l’évitement, à un modè<strong>le</strong><br />

qui valorise la personnalisation de la<br />

relation. On montrera par a<strong>il</strong><strong>le</strong>urs que ce<br />

glissement exprime, en même temps<br />

qu’<strong>il</strong> participe, d’une transformation de<br />

l’économie <strong>des</strong> rapports sociaux, se traduisant<br />

par la confusion entre <strong>le</strong>s<br />

sphères d’action privée <strong>et</strong> publique.<br />

2. Le modè<strong>le</strong><br />

d’organisation<br />

bureaucratique<br />

Jusque dans <strong>le</strong>s années 1970, l’action<br />

publique volontariste orientée vers <strong>le</strong> progrès<br />

social se traduit par un élargissement<br />

de la sphère d’intervention publique, <strong>et</strong> par<br />

l’extension conjointe dans <strong>le</strong>s services<br />

publics <strong>et</strong> dans l’administration, de la<br />

forme d’organisation bureaucratique. Pour<br />

Max Weber, témoin <strong>et</strong> analyste du processus<br />

de rationalisation qui caractérise la<br />

société de la fin du XIX e sièc<strong>le</strong>, la bureaucratie<br />

doit être considérée comme la forme<br />

d’organisation la plus efficace. 5 Précisons<br />

d’emblée que pour Weber, la bureaucratie<br />

ne concerne pas spécifiquement l’organisation<br />

publique. L’organisation bureaucratique<br />

est selon lui inévitab<strong>le</strong> dès lors qu’<strong>il</strong><br />

■<br />

s’agit de m<strong>et</strong>tre en œuvre une « administration<br />

de masse ». Rien n’empêche en ce<br />

sens que <strong>le</strong> mode d’organisation bureaucratique<br />

s’empare de l’entreprise privée,<br />

lorsque cel<strong>le</strong>-ci a atteint la ta<strong>il</strong><strong>le</strong> critique.<br />

Max Weber propose de caractériser <strong>le</strong><br />

modè<strong>le</strong> d’organisation bureaucratique<br />

selon un ensemb<strong>le</strong> de traits idéal-typiques 6<br />

que l’on peut regrouper en trois pô<strong>le</strong>s : l’impersonnalité<br />

(<strong>des</strong> règ<strong>le</strong>s, <strong>des</strong> procédures…)<br />

l’expertise (recrutement sur diplôme…),<br />

un mode de fonctionnement hiérarchique<br />

(contrô<strong>le</strong> hiérarchique…). Weber ajoute<br />

que la légitimité du modè<strong>le</strong> bureaucratique<br />

réside dans sa capacité d’expertise.<br />

Le savoir dont <strong>il</strong> est question conjugue la<br />

connaissance spécialisée <strong>et</strong> <strong>le</strong> « savoir du<br />

service », c’est-à-dire « <strong>le</strong>s connaissances de<br />

fait acquises ou «issues <strong>des</strong> dossiers» dans <strong>le</strong><br />

cours du service ». Comme nous l’avons vu,<br />

<strong>le</strong>s bureaucraties publiques <strong>et</strong> privées sont<br />

indifférenciées dans l’approche wébérienne.<br />

On sait néanmoins que <strong>le</strong> savoir n’est<br />

pas l’unique fondement <strong>des</strong> bureaucraties<br />

publiques. A la légitimité de l’expertise, <strong>il</strong><br />

faut ajouter l’orientation vers la satisfaction<br />

de l’intérêt général comme principe<br />

d’action spécifiquement public.<br />

La réf<strong>le</strong>xion de Max Weber, focalisée<br />

sur <strong>le</strong> processus formel de rationalisation<br />

de la vie, n’aborde pas à proprement<br />

par<strong>le</strong>r la question de la dynamique<br />

<strong>des</strong> relations socia<strong>le</strong>s dans <strong>le</strong>s<br />

organisations bureaucratiques. Weber<br />

note néanmoins <strong>le</strong> caractère impersonnel<br />

<strong>des</strong> relations que ce type d’organisation<br />

tisse avec son environnement :<br />

« sine ira <strong>et</strong> studio, sans haine <strong>et</strong> sans<br />

passion, de là sans «amour» <strong>et</strong> sans<br />

«enthousiasme», sous la pression <strong>des</strong><br />

simp<strong>le</strong>s concepts du devoir, <strong>le</strong> fonctionnaire<br />

remplit sa fonction «sans considération<br />

de personne» ; formel<strong>le</strong>ment, de<br />

manière éga<strong>le</strong> pour «tout <strong>le</strong> monde», c’està-dire<br />

pour tous <strong>le</strong>s intéressés se trouvant<br />

dans une même situation de fait » 7 .La<br />

généralité <strong>et</strong> l’impersonnalité <strong>des</strong> procédures<br />

de traitement <strong>des</strong> deman<strong>des</strong><br />

s’inscrit dans une logique de recherche<br />

d’efficacité qui mise sur la prévisib<strong>il</strong>ité.<br />

En tant qu’el<strong>le</strong>s traduisent <strong>des</strong><br />

règ<strong>le</strong>s <strong>et</strong> <strong>des</strong> procédures formel<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s<br />

relations impersonnel<strong>le</strong>s avec <strong>le</strong> public<br />

peuvent être considérées comme une<br />

forme d’objectivité.<br />

Les sociologues qui poursuivent la<br />

réf<strong>le</strong>xion de Weber sur la bureaucratie<br />

souscrivent dans un premier temps à<br />

l’idéal-type wébérien. Ils identifient<br />

certes <strong>le</strong>s dysfonctions concrètes <strong>des</strong><br />

organisations bureaucratiques, mais <strong>il</strong>s<br />

ne m<strong>et</strong>tent pas en cause l’efficacité <strong>et</strong><br />

la rationalité de <strong>le</strong>ur logique formel<strong>le</strong>.<br />

Un pas décisif est franchi, lorsque<br />

Michel Crozier montre que <strong>le</strong>s dysfonctions<br />

ainsi identifiées font partie intégrante<br />

de la logique de l’organisation<br />

bureaucratique puisqu’el<strong>le</strong>s participent<br />

à son développement <strong>et</strong> à son maintien.<br />

Dès lors l’efficacité substantiel<strong>le</strong> de la<br />

bureaucratie wébérienne est mise en<br />

question. Pour Michel Crozier, la<br />

logique de fonctionnement du phénomène<br />

bureaucratique repose en réalité<br />

sur un ensemb<strong>le</strong> de cerc<strong>le</strong>s vicieux. Le<br />

ressort du cerc<strong>le</strong> vicieux bureaucratique<br />

réside dans <strong>le</strong> jeu de pouvoir que<br />

perm<strong>et</strong>tent <strong>le</strong> centralisme <strong>et</strong> <strong>le</strong> formalisme<br />

de l’organisation bureaucratique.<br />

8 Dès lors, l’impersonnalité <strong>des</strong><br />

relations avec <strong>le</strong> public ne peut plus<br />

être interprétée selon Michel Crozier, ni<br />

comme une forme d’objectivité, ni<br />

comme une dysfonction, mais doit être<br />

comprise comme l’expression de la<br />

logique de pouvoir qui caractérise <strong>le</strong><br />

système d’organisation bureaucratique.<br />

Le caractère impersonnel de la relation<br />

de service, neutre dans <strong>le</strong> modè<strong>le</strong><br />

bureaucratique wébérien, prend ainsi<br />

un tour négatif chez Crozier. On peut<br />

par<strong>le</strong>r de relation d’évitement, en référence<br />

à l’analyse de Michel Crozier<br />

concernant <strong>le</strong>s relations d’autorité dans<br />

<strong>le</strong>s organisations bureaucratiques. Pour<br />

éviter <strong>le</strong>s relations directes de face à<br />

face, mal supportées en France selon<br />

Michel Crozier, la tradition française<br />

aurait développé une conception absolutiste<br />

<strong>et</strong> universel<strong>le</strong> de l’autorité. De<br />

façon analogue, la centralisation <strong>et</strong><br />

l’impersonnalité <strong>des</strong> procédures perm<strong>et</strong>traient<br />

d’éviter <strong>le</strong>s relations de face<br />

à face directes avec <strong>le</strong> récipiendaire du<br />

service, de sorte à protéger <strong>le</strong><br />

fonctionnaire <strong>et</strong> à lui assurer une marge<br />

de liberté à l’intérieur <strong>des</strong> limites<br />

fixées par <strong>le</strong>s règ<strong>le</strong>s. Notons que<br />

contrairement aux relations de trava<strong>il</strong>,<br />

où l’évitement semb<strong>le</strong> profiter à l’ensemb<strong>le</strong><br />

<strong>des</strong> agents, quel<strong>le</strong> que soit <strong>le</strong>ur<br />

position au sein de la hiérarchie, 9 la<br />

relation de service apparaît comme une<br />

relation d’évitement un<strong>il</strong>atéra<strong>le</strong>, qui<br />

s’établit entièrement au détriment du -<br />

récipiendaire du service. 10<br />

3. Nouveau modè<strong>le</strong><br />

d’organisation <strong>et</strong><br />

nouvel<strong>le</strong> relation à<br />

l’usager<br />

Comment la bureaucratie publique<br />

ainsi décrite évolue-t-el<strong>le</strong> sous <strong>le</strong> coup<br />

de la « modernisation par l’usager » ?<br />

On évoquera brièvement l’évolution de<br />

l’organisation <strong>et</strong> du fonctionnement<br />

interne <strong>des</strong> bureaucraties publiques.<br />

On présentera en revanche de façon<br />

plus déta<strong>il</strong>lée <strong>le</strong>s modifications institutionnel<strong>le</strong>s<br />

<strong>et</strong> organisationnel<strong>le</strong>s de la<br />

relation à l’usager.<br />

3.1. Recomposition interne<br />

de la bureaucratie publique<br />

La caractérisation sommaire du fonctionnement<br />

interne du nouveau modè<strong>le</strong><br />

d’organisation publique s’inscrit dans<br />

<strong>le</strong> cadre d’une recherche en cours. El<strong>le</strong><br />

doit être considérée comme une<br />

ébauche qui sera reprise <strong>et</strong> complétée<br />

a<strong>il</strong><strong>le</strong>urs. Nos suggestions résultent de la<br />

confrontation <strong>des</strong> enseignements provisoires<br />

tirés de nos investigations de<br />

terrain <strong>et</strong> de la littérature consacrée à<br />

la « modernisation par l’usager ». L’ambition<br />

ne sera pas de restituer un<br />

décalque de la réalité, mais conformément<br />

à l’approche idéal-typique,<br />

de faire ressortir <strong>le</strong>s traits originaux<br />

correspondants aux tendances d’un<br />

hypothétique modè<strong>le</strong> d’organisation<br />

publique recomposé, même si « cel<strong>le</strong>sci<br />

n’ont été réalisées p<strong>le</strong>inement nul<strong>le</strong><br />

part ». 11 Ajoutons, que la représentation<br />

stylisée du changement dans <strong>le</strong>s<br />

bureaucraties publiques est inévitab<strong>le</strong>ment<br />

un exercice partiel <strong>et</strong> partial, qui<br />

passe notamment sous si<strong>le</strong>nce <strong>le</strong>s compromis<br />

que la « modernisation par l’usager<br />

» opère avec <strong>le</strong>s caractéristiques<br />

bureaucratiques.<br />

Par souci de symétrie, la <strong>des</strong>cription<br />

succincte du changement dans <strong>le</strong>s organisations<br />

publiques portera sur <strong>le</strong>s traits<br />

structurants du modè<strong>le</strong> bureaucratique.<br />

En premier lieu, on constate que la<br />

« modernisation par l’usager » interroge<br />

<strong>le</strong> système de légitimité <strong>des</strong><br />

bureaucraties publiques. Nous avons vu<br />

que la légitimité <strong>des</strong> services publics<br />

repose traditionnel<strong>le</strong>ment sur la satisfaction<br />

de l’intérêt général <strong>et</strong> sur la<br />

■<br />

57<br />

<strong>Revue</strong> <strong>des</strong> Sciences Socia<strong>le</strong>s, 2001, n° 28, nouve@ux mon<strong>des</strong> ?

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