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Document PDF - ECA - Enseignement catholique actualites

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Trop de psychologie<br />

tue la pédagogie<br />

Pour Christophe Roiné, spécialiste de l’enseignement adapté, psychologisation de l’échec<br />

scolaire rime avec cécité didactique. Focalisés sur les mécanismes cognitifs, les enseignants<br />

ne cherchent plus assez comment rendre les contenus de leur enseignement attractifs.<br />

VIRGINIE LERAY<br />

Attention à la psychologisation<br />

à outrance… C’est en substance<br />

l’avertissement lancé, le<br />

18 mai dernier, par Christophe<br />

Roiné, lors d’une conférence organisée<br />

à Paris par l’ISP-Formation 1 . Fort<br />

de son expérience d’enseignant spécialisé,<br />

maître formateur et conseiller<br />

pédagogique, celui qui dirige aujourd’hui<br />

le département ASH 2 de l’IUFM 3<br />

d’Aquitaine part en guerre contre<br />

« l’ère du tout-psy ». Il a consacré sa<br />

thèse 4 à l’impact négatif de l’interprétation<br />

psychologique de l’échec scolaire<br />

sur la pédagogie en Segpa 5 . Selon<br />

lui, depuis les années 90, cette « prévalence<br />

du mentalisme » s’effectue<br />

au détriment de la didactique des<br />

contenus.<br />

Au xIx e siècle, « le pédagogue et psychologue<br />

Alfred Binet commence à médicaliser<br />

l’échec scolaire avec l’arrivée<br />

des classes populaires dans les écoles.<br />

Il forge le concept d’aptitude, à utiliser<br />

pour classifier les élèves. Ainsi, il fait<br />

émerger l’idée que des spécificités individuelles<br />

sont à l’origine des difficultés<br />

scolaires », rappelle Christophe Roiné.<br />

Ensuite, au xx e siècle, on s’intéresse<br />

de plus en plus près aux mécanismes<br />

mentaux à l’œuvre dans les apprentissages.<br />

« Chez Develay, Astolfi ou<br />

Meirieu, c’est l’intériorité de l’élève qui<br />

détermine la manière de proposer un<br />

enseignement ad hoc, qui régule la<br />

pédagogie. Auparavant descriptive, la<br />

psychologie devient prescriptive des<br />

pratiques enseignantes, son influence<br />

devient une mainmise », ose Christophe<br />

Roiné.<br />

Toute-puissante, la psychologie investit<br />

aussi le discours sociologique dans lequel<br />

l’individu post-moderne s’affranchit<br />

des déterminismes décrits par Bourdieu.<br />

Christophe Roiné,<br />

chercheur en sciences de l’éducation.<br />

Ainsi, pour Charlot, « l’échec scolaire<br />

n’existe pas. Ce qui existe, ce sont des<br />

élèves en échec ». Le phénomène social<br />

disparaît derrière des devenirs individuels<br />

et le versant subjectif de la scolarisation.<br />

Les enfants issus de classes<br />

sociales défavorisées sont présentés<br />

comme manquant de repères identificatoires<br />

ou victimes de stratégies familiales<br />

ne valorisant pas l’école… L’échec scolaire<br />

résulte de la nature différente des<br />

élèves en difficulté, qui seraient, par<br />

essence, allergiques à l’école. Une « hypothèse<br />

de la spécificité » contre laquelle<br />

Christophe Roiné s’inscrit en faux,<br />

résultats des évaluations d’entrée en 6 e à<br />

l’appui.<br />

Retour aux contenus<br />

Statistiquement, rien ne distingue en<br />

effet les élèves de Segpa, majoritairement<br />

redoublants et issus des classes<br />

sociales défavorisées, des moins bons<br />

élèves d’une classe ordinaire. Plus<br />

troublant encore, un quart de ces élèves<br />

affichent de meilleurs résultats que les<br />

mauvais éléments d’une 6 e classique.<br />

V. Leray<br />

« On constate aussi que les élèves de<br />

l’enseignement adapté et les autres ratent<br />

et réussissent les mêmes exercices.<br />

Il y a certes une différence de niveau,<br />

de degré mais pas de nature », analyse<br />

Christophe Roiné à qui les professeurs<br />

de Segpa ont pourtant surtout expliqué<br />

l’échec de leurs élèves par des éléments<br />

psychologiques : « Deux tiers<br />

des enseignants incriminent des aptitudes<br />

ou attitudes d’élèves trop éloignées<br />

de la norme scolaire, 22 %<br />

proposent des raisons sociologiques,<br />

et seuls 15 % avancent des arguments<br />

endogènes, remettant en cause l’institution,<br />

les programmes, l’organisation<br />

du temps scolaire. »<br />

L’écueil d’une telle interprétation<br />

de l’échec scolaire est d’inciter les<br />

enseignants à mettre en place des dispositifs<br />

d’aide qui, trop axés sur la<br />

dimension cognitive, oublient le rapport<br />

des élèves au savoir, à la matière<br />

enseignée.<br />

Pour que le remède ne se transforme<br />

pas en poison, l’enseignant prône de<br />

repositionner les apports de la psychologie<br />

dans le champ du didactique<br />

pour construire une véritable culture<br />

scientifique, littéraire, historique,<br />

commune à la classe. Un retour aux<br />

contenus, en somme, dans lequel<br />

l’enseignant se préoccuperait moins<br />

des « origines des infirmités scolaires<br />

6 » que de la manière dont la<br />

passion d’une discipline peut motiver,<br />

susciter les apprentissages.<br />

1. Sur internet : www.isp-formation.fr<br />

2. Adaptation scolaire et scolarisation des élèves handicapés.<br />

3. Institut universitaire de formation des maîtres.<br />

4. Effets de cécité didactique et discours noosphériens<br />

dans les pratiques d’enseignement en Segpa - une contribution<br />

à la question des inégalités. Thèse de doctorat soutenue<br />

à Bordeaux-II en septembre 2008.<br />

5. Section d’enseignement général et professionnel adapté.<br />

6. Daniel Pennac, Chagrin d’école, Gallimard, 2007.<br />

N° 337, juiN-juillet 2010 <strong>Enseignement</strong> <strong>catholique</strong> actualités 53

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