<strong>Ma</strong> <strong>plus</strong> <strong>belle</strong> <strong>histoire</strong><strong>Ma</strong> <strong>plus</strong> <strong>belle</strong> <strong>histoire</strong>, une anthologieLa publication du dixième recueil est une occasion <strong>en</strong> or <strong>de</strong> faire une rétrospective<strong>de</strong> dix ans <strong>de</strong> Coups <strong>de</strong> cœur. Lancé <strong>en</strong> 2003 par la Fédération <strong>de</strong>ssyndicats <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t (FSE-CSQ) pour mettre <strong>en</strong> valeur la persévérance,la détermination et le courage dont font preuve les adultes <strong>en</strong> formation,ce concours nous a donné l’occasion <strong>de</strong> lire <strong>de</strong>s récits exceptionnelsrédigés par <strong>de</strong>s personnes… exceptionnelles, ayant une caractéristiquecommune : l’amour <strong>de</strong>s mots. Ces textes ne sont pas que <strong>de</strong>s exercices <strong>de</strong>style, mais racont<strong>en</strong>t <strong>de</strong> bi<strong>en</strong> <strong>belle</strong>s <strong>histoire</strong>s, vraies, celles d’adultes qui ont<strong>en</strong>trepris <strong>de</strong> se donner les moy<strong>en</strong>s <strong>de</strong> réussir, <strong>de</strong> s’intégrer dans la société,<strong>de</strong> s’affranchir <strong>de</strong> leurs limites.Le premier vainqueur, <strong>en</strong> 2003-2004, était un élève du c<strong>en</strong>tre Sainte-Croix<strong>de</strong> la Commission scolaire <strong>de</strong> Montréal, Guillermo Rivas C<strong>en</strong>t<strong>en</strong>o. Tout ceque nous savons malgré nos efforts, c’est qu’il a poursuivi sa formation p<strong>en</strong>dant<strong>de</strong>ux ans après avoir ret<strong>en</strong>u l’att<strong>en</strong>tion du jury, qu’il a obt<strong>en</strong>u sondiplôme d’étu<strong>de</strong>s secondaires et qu’il a laissé le souv<strong>en</strong>ir d’un élève déterminé.D’ailleurs, la prési<strong>de</strong>nte <strong>de</strong> la FSE <strong>de</strong> l’époque, Johanne Fortier, <strong>en</strong> luir<strong>en</strong>dant hommage, n’a pu s’empêcher <strong>de</strong> souhaiter « à tous ces adultesméritoires <strong>de</strong> pouvoir trouver, comme Guillermo, ce roi Arthur, ce m<strong>en</strong>torgénéreux qui va les ai<strong>de</strong>r à développer leur s<strong>en</strong>s critique, à se dépasser, à<strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir <strong>de</strong>s hommes et <strong>de</strong>s femmes responsables, à s’appuyer sur leur forceintérieure, malgré les difficultés et quelquefois les épreuves qu’ils ont dûtraverser ».1. Mon roi ArthurCoup <strong>de</strong> cœur2004Je ne me rappelle pas très bi<strong>en</strong> qui a dit que « nous sommes la somme <strong>de</strong>sg<strong>en</strong>s que l’on r<strong>en</strong>contre ». J’y crois. Je n’ai pas besoin <strong>de</strong> l’expliquer. Il mesuffit <strong>de</strong> plonger dans ma mémoire pour y retrouver intacts les souv<strong>en</strong>irsd’un être cher qui a fait partie <strong>de</strong> cette somme qui complète l’équation <strong>de</strong>ma vie.17
<strong>Ma</strong> <strong>plus</strong> <strong>belle</strong> <strong>histoire</strong>Il s’appelait Arthur, il habitait la même ville que moi, il avait <strong>de</strong>ux filles, sonépouse était décédée <strong>de</strong>ux ans auparavant lors du <strong>de</strong>rnier accouchem<strong>en</strong>t. Ilavait un magasin <strong>de</strong> plomberie, il avait 40 ans, les cheveux noirs, un largesourire, un regard perçant et un tempéram<strong>en</strong>t hors du commun qui faisait <strong>de</strong>lui quelqu’un <strong>de</strong> bi<strong>en</strong>veillant, d’unique et qui allait <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir sans le vouloirune personne significative dans ma vie. Lors <strong>de</strong> ma r<strong>en</strong>contre avec Arthur, je<strong>de</strong>vais avoir 15 ou 16 ans. À ce mom<strong>en</strong>t-là, je traversais la pério<strong>de</strong> la <strong>plus</strong>sombre <strong>de</strong> ma vie. À 15 ans, j’aurais dû normalem<strong>en</strong>t m’amuser avec mescopains, sortir avec <strong>de</strong>s filles, aller au cinéma, faire mes propres expéri<strong>en</strong>ceset découvertes dans le mon<strong>de</strong> mystérieux <strong>de</strong> l’intimité sexuelle et affective.À 15 ans, on recherche sa propre i<strong>de</strong>ntité, on essaie <strong>de</strong> <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir soi-mêmepour affronter <strong>de</strong> son mieux l’av<strong>en</strong>ir que l’on a <strong>de</strong>vant soi, mais cela n’étaitpas mon cas. À 15 ans, je suis <strong>de</strong>v<strong>en</strong>u chef <strong>de</strong> famille, chef d’une familledécimée par la guerre, pr<strong>en</strong>ant soin d’une mère folle <strong>de</strong> chagrin, impuissanteface au <strong>de</strong>stin, ce <strong>de</strong>stin implacable qui nous promet tout et ne nousdonne ri<strong>en</strong>. J’avais l’impression d’avoir été catapulté dans un mon<strong>de</strong> d’adultes,hostile et sans les outils nécessaires pour y survivre. J’<strong>en</strong> étais sûr que, tôt outard, j’allais finir par sombrer dans le désespoir le <strong>plus</strong> total ou dans un vicequelconque, question <strong>de</strong> faire disparaître toutes les nouvelles responsabilitésque j’avais sur les épaules, mais c’est là qu’Arthur est <strong>en</strong>tré dans ma vie.Je ne me rappelle <strong>plus</strong> comm<strong>en</strong>t je l’ai connu. Au début, il m’intimidait,mais je ne me suis jamais s<strong>en</strong>ti rejeté par lui. En sa prés<strong>en</strong>ce, je me s<strong>en</strong>taismaladroit ; malgré cela, j’aimais être avec lui, j’avais un plaisir fou à l’observer,j’avais l’impression d’être une éponge absorbant tout <strong>de</strong> lui ; dans le fond<strong>de</strong> moi-même, je rêvais <strong>de</strong> <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir comme lui : avoir sa force <strong>de</strong> caractère,inspirer chez les autres la confiance et la bi<strong>en</strong>veillance qui faisait <strong>de</strong> lui unhomme fort. Il avait cette capacité <strong>de</strong> <strong>de</strong>viner mes p<strong>en</strong>sées, mes états d’âme,mes angoisses et mes questionnem<strong>en</strong>ts intérieurs. Il avait « l’humilité » <strong>de</strong>reconnaître mes qualités. Il savait gar<strong>de</strong>r le sil<strong>en</strong>ce sans me faire s<strong>en</strong>tir coupable.Il reconnaissait mes joies. Il respectait mes chagrins. Il était capable<strong>de</strong> corriger mes écarts <strong>de</strong> conduite. Il était capable d’éveiller <strong>en</strong> moi la fiertédu travail bi<strong>en</strong> accompli. Il m’a montré à conduire. Il m’a poussé à toujoursremettre <strong>en</strong> question mes choix et la raison <strong>de</strong> ceux-ci. Il m’a aidé à développermon s<strong>en</strong>s critique, à me surpasser, à <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir un « homme responsable »avant mon temps. Il m’a montré à faire appel aux forces qui r<strong>en</strong>aiss<strong>en</strong>t <strong>de</strong>sc<strong>en</strong>dres du désespoir.J’avais 22 ans la <strong>de</strong>rnière fois que je l’ai vu. C’était le 26 octobre 1986, dateà laquelle j’ai quitté le pays, sa photo quelque part dans mes bagages, lesouv<strong>en</strong>ir d’une étreinte maladroite et un terrible chagrin dans le fond <strong>de</strong>18