<strong>Ma</strong> <strong>plus</strong> <strong>belle</strong> <strong>histoire</strong>– Ah non, dit-il <strong>en</strong> tremblant et <strong>en</strong> bégayant, le front pleurant <strong>de</strong> sueurs ;c’est quoi ça d’abord ?Les trois secon<strong>de</strong>s qui suivir<strong>en</strong>t me sembl<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core presque aussi péniblesque trois minutes que j’avais un jour passées à m’obstiner avec un sursyndiqué<strong>de</strong> la RTC borné du fait que son salaire valait bel et bi<strong>en</strong> trois fois celuid’une infirmière. C’est alors que survi<strong>en</strong>t l’événem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s événem<strong>en</strong>ts : parla <strong>plus</strong> intransigeante <strong>de</strong>s coïnci<strong>de</strong>nces, Roger, le vieux cochon s’am<strong>en</strong>aitjuste à côté <strong>de</strong> nous… POUF ! Un bruit si assourdissant qu’un sourd-néaurait <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du pour la première fois. Roger avait pris le vieux fusil à blanc<strong>de</strong> notre hôte <strong>Ma</strong>rc-Antoine dans le sous-sol et décidé <strong>de</strong> faire changem<strong>en</strong>t<strong>en</strong> substituant une habituelle farce <strong>de</strong> cul par une réelle farce <strong>de</strong> con. Levéritable problème c’était pas vraim<strong>en</strong>t ça ! C’était plutôt John évanoui etaussi pâle qu’un albinos qui a passé sa vie sans voir le soleil ; je ne l’auraispas reconnu si ça aurait pas été <strong>de</strong> son bouton véreux qu’il porte fièrem<strong>en</strong>tau-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> son œil gauche. En panique extrême, pas d’autres choix quej’ai eu que <strong>de</strong> composer à l’instant le 911. « Oui bonjour, pour quelle ville ? »me répond un robot vocal féminin. « Cherchez- vous un numéro <strong>de</strong> commerceou <strong>de</strong> rési<strong>de</strong>nce ? » Pauvre imbécile que je suis, dans mon état <strong>de</strong>stress névrosé, j’ai dû faire le 411. Je raccroche et compose <strong>en</strong>fin le bonnuméro, avec Roger <strong>en</strong> arrière-plan <strong>en</strong> train <strong>de</strong> déblatérer sur le fait quel’ambulance coûtait 62 piastres à chaque appel et que tout ça c’était la fauteà l’aile droite <strong>de</strong> l’anci<strong>en</strong> sous-conseil municipal ; comme si c’était le temps<strong>de</strong> disjoncter sur la politique, p<strong>en</strong>dant que notre ami agonise sur le plancheravec <strong>de</strong> la broue qui lui sort par les narines… Pauvre con <strong>de</strong> Roger, avec sons<strong>en</strong>s aiguisé <strong>de</strong>s priorités.– Roger, va donc faire ton spectacle ailleurs, ou bi<strong>en</strong> ça va mal finir.En att<strong>en</strong>dant l’ambulance, pas d’autre choix que <strong>de</strong> veiller sur John, pauvrelui, les yeux à l’<strong>en</strong>vers et la bouche <strong>en</strong> train <strong>de</strong> marmonner « êtres <strong>de</strong> l’hyperespace,ne v<strong>en</strong>ez point m’emporter » ou b<strong>en</strong> <strong>en</strong>core pire « Je suis agressé parun escadron <strong>de</strong> teletubbies mc téléguidés. À l’ai<strong>de</strong>, terri<strong>en</strong>s du clan <strong>de</strong>svulcains ». Ouch ! Mon ami avait vraim<strong>en</strong>t changé <strong>de</strong> fréqu<strong>en</strong>ce, mais jecomm<strong>en</strong>çais à me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si le bouton pour rev<strong>en</strong>ir au bon poste nes’était pas cassé, ou du moins s’il serait réparable <strong>en</strong> bout <strong>de</strong> ligne.L’ambulance arrive 38 minutes après l’appel, comme ils dis<strong>en</strong>t aux nouvelles.Les <strong>de</strong>ux professionnels surconfiants <strong>en</strong> chi<strong>en</strong>ne <strong>de</strong> garage bleue sort<strong>en</strong>t <strong>de</strong>leur cube jaune ; « où est-il, où est-il ? » Ils ont l’air empressé comme si12 secon<strong>de</strong>s allai<strong>en</strong>t changer quelque chose sur 38 minutes, qui donn<strong>en</strong>t <strong>en</strong>fait 2 280 secon<strong>de</strong>s… Quelle paire d’imbéciles ! Le problème, c’est pas que27
<strong>Ma</strong> <strong>plus</strong> <strong>belle</strong> <strong>histoire</strong>j’<strong>en</strong> veux aux ambulanciers, mais plutôt à tous ceux qui ont écouté l’émission« Urg<strong>en</strong>ce » quelque part <strong>en</strong>tre leur <strong>en</strong>fance et leur adolesc<strong>en</strong>ce et quiont choisi leur métier principalem<strong>en</strong>t à cause <strong>de</strong> leur attrait pour leur programmepréféré… Par contre, ça m’ai<strong>de</strong> à compr<strong>en</strong>dre pourquoi y a <strong>de</strong>smala<strong>de</strong>s qui se déguis<strong>en</strong>t <strong>en</strong> « SPOK » dans les conv<strong>en</strong>tions <strong>de</strong> « Star Trek ».En tout cas… Les <strong>de</strong>ux clowns sort<strong>en</strong>t leur civière et embarqu<strong>en</strong>t John, ilsmett<strong>en</strong>t <strong>en</strong>suite les sirènes et fil<strong>en</strong>t à toute allure ; quelques voisins qui regardai<strong>en</strong>tla scène <strong>de</strong> leurs balcons r<strong>en</strong>tr<strong>en</strong>t à l’intérieur, <strong>en</strong> espérant au fondd’eux-mêmes que ce g<strong>en</strong>re d’événem<strong>en</strong>t se produise à nouveau, afin <strong>de</strong> leurprocurer d’autres s<strong>en</strong>sations fortes qu’ils ont l’habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> récolter par lagran<strong>de</strong> culture du voyeurisme socialem<strong>en</strong>t accepté ; la télé-réalité.Le l<strong>en</strong><strong>de</strong>main, un appel à l’hôpital Ste-<strong>Ma</strong>rie du Bon Conseil, où les ambulanciersont emm<strong>en</strong>é John… La secrétaire me répond : « Non, Mr. John Tardifest parti ce matin ». C’est alors que je réalise que la seule option pour avoir<strong>de</strong>s nouvelles <strong>de</strong> Johny est un appel chez eux, au risque d’affronter samaman, la g<strong>en</strong>tille et aimable Béatrice.– Bonjour M me Tardif, est-ce que John est là ?– Hypocrite, sale petit hypocrite, fais pas semblant que t’es pas au courantÉric, fils <strong>de</strong> ta mère, femme bourgeoise et vaniteuse… Johny, mon petitJohny, n’est <strong>plus</strong>.– Quoi ?– Il a perdu la raison et ce serait surpr<strong>en</strong>ant qu’il revi<strong>en</strong>ne ; la seule chosequ’il a pu prononcer dans les <strong>de</strong>rnières heures c’est : « Ils sont v<strong>en</strong>us mechercher, les hommes bleus avec leur capsule jaune ».J’avais pitié <strong>de</strong> Béatrice, pauvre maman <strong>de</strong> John, je s<strong>en</strong>tais le désespoir et lapanique dans sa voix tremblante ; j’aurais même accepté <strong>de</strong> la consoler sielle ne m’haïssait pas autant.– M me Tardif, ne vous <strong>en</strong> faites pas, John est fort, je suis sûr qu…– Non, non, non, non, non ! qu’elle beuglait <strong>en</strong> pleurant. Elle ajoute :« <strong>de</strong>ux spécialistes <strong>en</strong> neurologie ont scanné son cerveau et ils sont unanimes: John est victime d’une apoplexie névralgique qui serait causée par uneconsommation <strong>de</strong> LSD <strong>en</strong> gran<strong>de</strong> dose, suivie d’un choc nerveux spontané.Le choc qu’il a subi a provoqué une combustion instantanée <strong>de</strong> son liqui<strong>de</strong>28