Bilan des acquisitions de 1984 - Musée des Augustins

La distinction habituellement faite entre l'Art et l'art
moderne, quelque commodité méthodologique qu'elle présente,
a ceci de vicieux qu'elle semble introduire l'idée d'essence
et de nature qui ferait que les oeuvres d'art n'auraient
droit à ce titre que dans l'effacement, dû au temps et au
recul du temps, de ce qui a fait leur originalité dynamique
et créatrice dans le temps où elles apparurent et dans le
genre d'expression où elles ont fait date. Ce que l'on appelle
l'art moderne ne serait art qu'au conditionnel, tenu au
purgatoire, dans l'attente d'un jugement dont l'histoire
nous prouve, pourtant, combien il est relatif, même en ce
qui concerne l'art ancien. Cette distinction s'est accentuée
et subdivisée avec la différenciation nouvelle faite entre
l'art moderne et l'art contemporain, toute aussi arbitraire
et pernicieuse que la précédente. Cet ensemble de distinctions
tend à donner à la notion de patrimoine un caractère
passé et passéiste qui a déteint sur la représentation que
l'on se fait du musée : une sorte de temple de la convenance
convenue, norme d'un ordre que l'on voudrait universel
et immuable, reproductif de lui-même, alors que toute l'histoire
de la création, toute l'histoire de l'art, ne nous parlent
que de vie et de dynamisme, ne nous livrent leur héritage
que parce qu'il est mouvement toujours vivant pour notre
propre vie.
Le patrimoine n'a pas de limite et notre conquête de notre
propre condition, enrichie par la création de notre propre
mémoire active, se fait continûment, tous les jours et par
l'apport de tous ceux qui, chacun à son créneau, inventent
le nécessaire nouveau et renouvelé de notre épanouissement
humain. Aussi bien le musée, comme institution, se
doit-il d'être, tout aussi essentiellement qu'un conservatoire
de notre passé maintenu disponible et actif, un creuset du
présent et du futur dans l'attention à tout ce que la vie nous
apporte.
Mais on doit avouer que cette sensibilité au présent est
toute aussi relative, historique, personnalisée, que l'est le
sentiment que l'on a de l'histoire et de l'héritage. Aussi
bien, à travers l'action de tous les musées qui se sont enga-
La peinture moderne
et contemporaine
gés dans la prise en compte de la création en train de se faire,
peut-on lire des tendances, des intérêts particularisés,
des sensibilités différenciées. Et c'est fort bien ainsi. Car on
ne saurait retomber dans l'erreur du siècle dernier
concernant les musées, à savoir que chaque musée se
devrait de répondre à une norme universelle obligée et que
chaque musée devrait ressembler aux autres comme deux
gouttes d'eau. Les identités culturelles régionales, le poids
de l'histoire en chaque lieu, les préoccupations les plus prégnantes
de chaque population, le rôle personnel des acteurs
concernés, tout contribue à donner à chaque action et à
chaque établissement sa couleur propre et sa dynamique
propre.
C'est un fait que l'on ne peut que constater, mais, de 1865
à 1950, la Ville de Toulouse et le Musée des Augustins
n'ont aucunement pris en compte la réalité de la création
vivante, ce qui fait que l'Impressionnisme et ses suites, le
Fauvisme, le Cubisme, le Surréalisme, l'Abstraction naissante,
étaient totalement absents des collections et que ce
retard est irrattrapable dans les conditions économiques
actuelles. Pour autant, il était possible de penser un redémarrage
et une politique qui permettent de réinsérer le
musée dans la vie. Déjà, mon prédécesseur, M. Paul Mesplé
avait amorcé une action d'achats d'oeuvres contemporaines
rendant compte de la tendance figurative dominante
de la création de la région, au lendemain de la dernière
guerre, autour de François Desnoyer, Saint-Saens et d'un
certain nombre de peintres toulousains et languedociens
formés avant-guerre et pendant la guerre. Cette volonté de
rendre compte de la production locale et régionale, nous
nous devions de la maintenir et nous avons effectivement
poursuivi l'action déjà entreprise : Bergougnan, Kablatt,
Schmidt, Thon, Pradal, Igon, Denax, pour ne citer qu'eux,
ont été attentivement suivis, avec le souci de ne pas privilégier
telle tendance plutôt qu'une autre et sans cependant
sombrer dans un éclectisme qui, sous prétexte d'impartialité,
démissionnerait des exigences historiques et qualitatives
qui doivent orienter l'action en ce domaine.
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