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Anna Juan CANTAVELLA<br />
aussi des postulats de la phénoménologie qui essaie de comprendre l’humain à<br />
travers le factuel 5 . Le choix de la description, plutôt que de l’interprétation, partait<br />
d’une position méthodologique bien marquée : regarder à ras du sol, d’après<br />
une perspective quasi naturaliste 6 , pour décrire – comme le dirait Blumer 7 –<br />
la sociabilité en mouvement, en train de se faire. Aller sur place et observer,<br />
arriver avec l’attitude naïve de celui qui ne comprend rien et regarder, écouter,<br />
sentir, toucher, marcher, parler, demander et me laisser porter par l’étrangeté.<br />
M’imprégner des pratiques quotidiennes, des rythmes ordinaires, des routines<br />
du lieu. Il s’agissait de diriger en permanence mon regard – comme l’écrivait<br />
Laplantine à partir d’une réflexion de Blanchot 8 – vers l’extérieur, vers ce qui se<br />
passe en permanence.<br />
1. Pourquoi le CRESSON <br />
Pendant ces mois, mes observations ont été nourries par un grand nombre<br />
de références, parmi lesquelles certaines m’amenèrent à m’intéresser de plus<br />
en plus à un groupe de recherche français, très centré sur des approches<br />
ethnométhodologiques de l’espace public : le laboratoire CRESSON. L’espace<br />
urbain en méthodes a été un vrai guide pour mener à bien mon travail de terrain 9 ,<br />
mais ce qui m’intéressait par-dessus tout, c’était le regard critique d’un groupe<br />
d’architectes, ingénieurs et sociologues (travaillant ensemble) porté sur la<br />
conception de l’architecture et des espaces urbains. Dans ce sens, quelques<br />
textes fondateurs du laboratoire, comme Pas à pas, essai sur le cheminement<br />
quotidien en milieu urbain ou « La vue est-elle souveraine dans l’esthétique<br />
paysagère» 10 , de Jean-François Augoyard (l’un des fondateurs du laboratoire),<br />
furent essentiels au cours de ma formation. La déconstruction du concept de<br />
paysage occidental, l’introduction de celui d’effet sonore et l’importance de<br />
l’événementiel pour une analyse de l’urbain furent les aspects qui me permirent<br />
de déterminer la manière dont j’entrai sur le terrain au tout début de ma recherche<br />
doctorale. Ce terrain, c’était Gibellina Nuova, un petit village sicilien entièrement<br />
détruit en 1968 par un tremblement de terre et reconstruit, pendant les années<br />
1980, 1990 et 2000, comme un musée d’art contemporain en plein air.<br />
Dans son article « La vue est-elle souveraine dans l’esthétique paysagère »<br />
Augoyard s’intéresse au fait que le mot paysage renvoie directement à<br />
l’exercice de voir. Il nous rappelle les trois axiomes de base sur lesquels<br />
s’élabore le concept du paysage moderne : le regard utopique, l’esthétique<br />
de la contemplation et un concept d’espace parfaitement euclidien. Le regard<br />
utopique implique la supercherie dont parlait aussi De Certeau dans son <strong>ouvrage</strong><br />
L’invention du quotidien, quand il faisait référence au regard savant comme un<br />
regard porté depuis un hors champ 11 . Le paysage - continue Augoyard - suppose<br />
une distanciation de l’observateur, qui doit sortir de la réalité pour pouvoir<br />
l’observer d’un dehors, après avoir marqué des limites bien précises. Dans ce<br />
sens, le paysage, sous la perspective newtonienne d’espace, est toujours un<br />
lieu isotrope, homogène et stable et pour autant, représentable. Il s’agit d’une<br />
artefaction de l’espace. Le terme de paysage présuppose donc le concept de<br />
construction. Tout paysage est une construction culturelle où s’interpose, entre<br />
les sens et la réalité, une sorte de loi qui la rend pensable. Dans ce contexte,<br />
les lois sont visuelles et ce qui se construit à travers l’objet est une façon de<br />
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