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egarder, de limiter, de focaliser et d’encadrer la réalité. Le paysage est donc né<br />
de l’esthétique de la contemplation et d’une demande des spectateurs.<br />
Les travaux du CRESSON sur le sonore vont ouvrir une ligne de recherche<br />
qui implique un changement méthodologique, grâce à la capacité du son à nier<br />
les caractéristiques de ce regard paysagiste. Un des aspects centraux de cette<br />
critique est lié à la nature même du son qui ne serait que du temps qualifié.<br />
Prendre cela en considération signifie introduire dans les recherches un intérêt<br />
pour la réalité la plus éphémère et en même temps la plus sensible : celle qui est<br />
en train de se passer au moment de la recherche. L’espace sonore est un espace<br />
discret - signale Augoyard - qui n’implique ni la contiguïté, ni l’homogénéité. Il ne<br />
s’agit pas d’un espace isotrope, fait d’un seul discours. Il est fait d’événements<br />
ponctuels, qui proviennent de différents points et qui changent de manière<br />
constante. C’est donc un espace polyphonique. Il fusionne des détails, supprime<br />
la notion de point de vue, ne connaît pas la perspective euclidienne et ses<br />
contours sont flous. À travers ces études, la ville prend corps comme une espèce<br />
de brouhaha, de multitude de sons qui interagissent de façons variées, toujours<br />
sous une forme métabolique. L’espace sonore est donc pur événement et pour<br />
le saisir, le CRESSON va introduire le concept d’effet sonore.<br />
Les concepts d’objet sonore et de paysage sonore, si intéressants pour la<br />
musicologie, ne seront pas suffisants pour la recherche située dans l’espace<br />
urbain, qui prend en compte d’autres dimensions que celle de l’esthétique. L’effet<br />
sonore, « idée à mi-chemin entre l’universel et le singulier (…) rend possible un<br />
aller-retour cohérent entre le donné sonore et l’interprété » 12 . Apparaissant pour<br />
la première fois dans les travaux portant sur la physique des effets (XXème<br />
siècle), ce concept trouve son point de départ dans le fait que, quand un son est<br />
perçu en situation, celui-ci est inséparable d’un effet : « l’effet perceptible est,<br />
de ce point de vue, lié immédiatement à une cause circonstancielle ». L’effet<br />
apparaît donc comme la trace d’un événement et, dans ce sens, il fait partie<br />
de la logique des sens dont parlait Deleuze, où les événements jouent entre<br />
eux pour construire la réalité la plus superficielle. La description et l’analyse de<br />
ces effets superficiels, qui modulent l’épiderme de l’espace public, semblaient<br />
être particulièrement adéquates pour étudier un espace dans sa dimension<br />
événementielle et située.<br />
2. Pourquoi Gibellina <br />
196<br />
Gibellina Nuova, ville du rêve et de l’utopie – comme signalait le projet de<br />
reconstruction –, a été présentée dans beaucoup de livres d’art et d’architecture<br />
comme le triomphe d’une illusion : l’utopie concrète devenue réalité sous<br />
la forme d’un des plus importants musées d’art contemporain en plein air du<br />
monde. Ville-laboratoire, elle fut l’un des espaces européens d’expérimentation<br />
de différents langages artistiques au cours de la seconde moitié du XXe siècle.<br />
Quaroni, Samona, Gregotti, Consagra, Venezia, Burri, Thermes, Purini, Beuys,<br />
Guttuso, Sciascia, Zevi, Isgrò, Zavattini, Caruso, Cagli, Levi, Damiani ou Zavoli,<br />
parmi beaucoup d’autres, furent les orateurs d’un projet de reconstruction et de<br />
renaissance totale fondé sur l’art et sur les donations d’artistes à une ville qui<br />
devait être reformulée à partir du néant. Utopie artistique et utopie politique,<br />
ville-musée, pensée comme artefact et œuvre d’art en transformation constante,