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Les cahiers de Rhizome : La mondialisation est un déterminant social de la santé mentale| 12le passé, qui exercera une influence excessive.»Robert Levine postule ce même lien au vud’observations psychiatriques. Il cite le proposd’un patient dépressif (qui nous rappelle le TexLa Homa de Coupland) : « L’avenir paraît froid etsombre, et je suis congelé dans le temps ».Ainsi la dépression devient, troisièmement, lapathologie de la globalisation non seulementparce qu’elle s’y accroît de façon significative,et, fait nouveau, y atteint des personnes deplus en plus jeunes, mais plus encore, parcequ’elle semble incarner et confirmer sous uneforme pathologiquement pure l’expérience del’immobilité frénétique que nous venons de déduirede la perspective temporelle de l’identitésituationnelle. « La dépression est le parapet del’homme désorienté, elle n’est pas seulement sasouffrance », écrit Alain Ehrenberg (2004) « maisle contrepoids au déploiement de son énergie » ;selon lui, cette énergie rencontre des difficultésinsurmontables à se déployer de façon constructive,quand une personne estime a priori, comptetenu du taux élevé de mobilité, de flexibilité etde changement de son environnement, que toutinvestissement relationnel n’y pourrait être quetemporaire et périssable, et donc ni fondateur nistabilisateur d’aucune identité. Cette problématiqueaccompagne toute l’histoire de la dynamisationmoderne, décrite d’abord comme l’Acedia(paralysie de l’âme), puis diagnostiquée de façonsécularisée comme Mélancolie ou Ennui, plustard comme Neurasthénie (fatigue nerveuse),puis aujourd’hui comme Dépression. A chaquefois, il s’agit d’un état psychique qui, face àl’incapacité de l’âme de concentrer et de déployerefficacement son énergie sur un but fixe, définiet considéré comme rentable, se caractérisepar une « paralysie de l’âme », une inertie quasiartificielle, désertique et vide, sous-tendue parune incapacité à trouver le repos.Si l’on a pu d’abord interpréter et contenir detelles expériences comme des pathologies individuelles(bien que typiques de l’époque), oules penchants de personnes particulièrement« sensibles » telles que les poètes, les artisteset les philosophes, puisqu’elles trouvaient uncontrepoids culturel fort dans la représentationbourgeoise classique idéale d’un projet de vieautonome et authentique, il se pourrait, selonEhrenberg, qu’elles deviennent ces temps-ci lelot commun structurellement inévitable d’unegrande partie de la population. Ainsi, il écrit :« Si la mélancolie était la particularité des gensextraordinaires, la dépression est l’expressionde la démocratisation de l’extraordinaire. Nousvivons dans la croyance que chacun devrait avoirla possibilité de créer sa propre histoire, aulieu de subir la vie comme un destin. L’homme“s’est mis en mouvement” (Lefort), en s’ouvrantles possibilités et le jeu de l’initiative personnelle,et cela jusque dans son fort intérieur. Cettedynamique renforce l’indéterminé, accélère ladissolution de toute stabilité, et surmultipliel’offre des orientations, tout en les emmêlant.L’homme sans qualités, tel que Musil l’a dessiné,est un homme ouvert à l’indéterminé, il sevide progressivement de toute identité imposéede l’extérieur qui pouvait le structurer. Les secoussessont devenues individuelles, elles viennentde l’intérieur. […] La dépression est ainsila mélancolie plus l’égalité, la maladie par excellencede l’homme démocratique. Elle représentel’envers inexorable de l’homme qui est sonpropre maître. Pas celui qui a mal agi, mais celuiqui ne peut pas agir. La dépression ne peut êtrepensée en termes de droit, mais seulement entermes de capacités » (2004 [1998] p.261).L’incapacité à agir est ici finalement une incapacitéà entrer en relation et à créer des liens,qui trouve sa cause dans le fait qu’aucun composantdu soi ne paraît plus donné comme base,pour qu’ensuite il puisse et doive être découvert,puis développé dans un processus d’action surl’environnement, dans lequel le soi et le monde setransformeraient et se développeraient réciproquement.A notre époque, ce mode d’interactionayant pour but d’influer sur le monde se trouveremplacé par des actions basées sur deschoix opportunistes, avec le risque que l’on nepuisse plus dire, au nom de quoi on veut ouchoisit quelque chose.Werner Hesper, dans son étude sur le changementdes modèles identitaires contemporains(1997), va dans le même sens quand il décrit laproblématique du soi post-moderne, conduisantpotentiellement vers une incapacité dépressived’agir : « Comme la pluralisation du mondeentraîne une ‘étrangeté’ tendancielle des organisationssociales, le sujet cherche à se référerà lui-même. Mais cette référence se précariseface à l’auto-interrogation dans le cadre desmultiples possibilités d’option socialementimposées […].Le dilemme de l’auto référencementdu soi moderne réside dans son côté

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