Les cahiers de Rhizome : La mondialisation est un déterminant social de la santé mentale2. HautCommissariat auxDroits de l’Homme(OHCHR), Fondsdes Nations Uniespour la Population(UNFPA), Fondsdes Nations Uniespour l’Enfance(UNICEF), Entité desNations Unies pourl’égalité des sexeset l’autonomisationdes femmes(ONU-Femmes)et OrganisationMondiale de laSanté (OMS). http://assembly.coe.int/Documents/WorkingDocs/Doc11/FDOC12715.pdf| 44L’absence d’investissement et sa partsocio-culturelleUn projet de déclaration 2 par l’OHCHR, l’UNFPA,l’UNICEF, ONU-Femmes et l’OMS examine lesconséquences de la sélection prénatale qui favoriseles garçons en de nombreuses parties del’Asie du Sud, de l’Est et de l’Asie centrale, où l’ona observé des ratios allant jusqu’à 130 garçonspour 100 filles. Il met en avant « un préjugé sexisteen faveur des garçons […] symptôme d’injusticessociales, culturelles, politiques et économiquesfort répandues contre les femmes, et une violationmanifeste de leurs droits humains ». Selonla déclaration, “une forte pression s’exerce surles femmes pour qu’elles mettent au jour des fils... ce qui non seulement influe directement surleurs décisions en matière de procréation, […]mais aussi les met dans une position où elles sontcontraintes de perpétuer le statut inférieur desfilles du fait de la préférence pour les fils”. De plus,« ce sont aussi les femmes qui ont à supporterles conséquences de donner naissance à unefille non désirée [dont] la violence, l’abandon, ledivorce ou même la mort”. Les auteurs citent dansleur enquête une mère qui semblait totalementindifférente à l’infanticide signalant benoîtementque l’amniocentèse et l’échographie étaient devenuestrès préférables pour l’élimination des fillesà l’ingestion à la naissance de la sève du laurierrose.Bien que nous n’ayons pas le temps ici de convoquerl’anthropologie et sa démonstration desvariations dans l’attitude culturelle vis-à-vis del’humanisation de l’enfant, il semble que chaquecivilisation construise une vision du mondeque nous pourrions qualifier de religieuse ou demythique qui réponde à la question à laquelleaucune réponse objective ne peut être donnée :« Quand l’être dans son développement devientilsuffisamment humain pour être protégé etaimé ? ».Dans une perspective plus psychologique, à quelmoment du développement et sur l’invocationde quels motifs une société permet-elle ou promeut-ellel’identification du fœtus ou de l’enfantà un être doué d’un libre arbitre, d’une conscience,et éventuellement de l’accord des dieuxpour vivre ?Ces prescriptions culturelles sont fluctuantesà travers l’histoire sauf peut-être pour les sociétésjustement appelées traditionnelles. Leurimpact, souvent majeur, n’est pas total sur leschoix humains : la liberté se faufile dans la fraude,le mensonge, mais aussi dans des montagesingénieux de filiation ou de langage pour quenaisse l’enfant et qu’il puisse vivre.Les mythes, les religions, la culpabilitéet l’échographieL’indifférence maternelle à l’infanticide n’estpas le phénomène le plus général semble-t-il,bien au contraire. Le spectacle de la destructionde son enfant est le plus généralement insupportable.Les sociétés qui tolèrent ou mêmepromeuvent l’infanticide s’en sont plus ou moinsarrangées, soit en le permettant à l’écart du regardsocial dans un lieu spécifiquement protégé(sociétés traditionnelles), soit en l’exposantau regard de tous mais dans l’espoir presquetoujours vain qu’il sera sauvé (voir les mythesRomulus ou Moïse), ou enfin en mettant en placedes rites de pacification avec intervention deprêtres qui prennent sur eux une partie de lafaute ou bien offrent une réparation aux dieux ouà l’âme de l’enfant.L’échographie et l’amniocentèse qui se sont répanduesparmi les pays les plus démunis jusqu’aufond des campagnes malgré une régulationjudiciaire très modérément efficace, ont résolu aumoins un problème : elles ont permis une régressiontrès importante de l’infanticide. La globalisationa apporté ce progrès mais elle a engendréun problème nouveau : la relative facilité du gesteabortif a conduit à l’amplification du déséquilibredes naissances avec l’ensemble des incroyablesconséquences qui semblent se dessiner concernantles statuts individuels (aggravation du statutdes femmes des régions déshéritées vendues etsoumises, amplification de la prostitution, militarisationaccrue de la société). Les poids respectifs
| Attachement et mondialisation : l’infanticide, signe d’un malaise dans la parentalitéde la religion, de l’économie et de l’éducation sontdifficiles à estimer. Les études menées par exempleen Inde montrent que lorsque des régions oudes ethnies, ou des sujets sont fortement engagésdans les religions étudiées (hindouisme, islamisme,christianisme), les taux d’infanticide ou defoeticide sélectifs décroissent significativementmais les ratios demeurent déséquilibrés. Danscertains pays musulmans où l’infanticide (ou lefoeticide) sélectif reste encore pratiqué (toujoursbien moins qu’en Inde ou en Chine), la plupartdes auteurs attribuent ce déséquilibre plusaux reliquats de la structure préislamique de lasociété qu’à la religion elle-même : les croyanceset les valeurs, l’économie familiale, et plusencore le statut de la femme, semblent jouer lerôle principal.Concernant l’économie, des arguments cohérentssont apportés selon lesquels la luttecontre la misère va permettre de réduire le déséquilibredans le statut des genres, les femmesétant les premières à souffrir de la pauvreté. Detoute façon, l’enrichissement d’une nation oud’un (sous) continent ne peut s’établir que surde longues décennies et ne paraît pas un levierd’action suffisant à court terme. Des programmesspécifiques d’aide aux mères ont été mis enplace mais leur pérennité n’est pas assurée etles résultats sont encore en cours d’évaluation.L’impact de l’éducation est moins étudié carsouvent confondue dans les études épidémiologiquesavec le revenu des familles, les famillesriches étant généralement plus cultivées. Il estaussi postulé que le partage de l’éducation, auminimum lecture, écriture et savoir technique,permettrait une amélioration du statut et une plusgrande autonomie des femmes. Il serait toutefoisimportant de distinguer le quid de l’éducation etnon seulement le niveau général : qu’enseigne-tonsur les femmes et les mères notamment ? Surla liberté humaine et les structures sociales ? Surl’histoire ? Les enseignements techniques tendent-ilsà une promotion sociale ou une nouvelleforme d’asservissement ? L’ouverture aux savoirsuniversitaires est-elle aussi promue ?Socius, droit des femmeset mondialisationBien que révélateur, et peut être parce querévélateur d’une intolérable ambivalence maternelle,l’infanticide est un thème peu présentde l’historiographie, marginal en sociologie,atypique en psychologie, à peine plus fréquenten anthropologie, mieux étudié en biologie animaleet en éthologie. Il est un symptôme à la foisindividuel et culturel, révélant un « malaise »dans la parentalité et dans la relation entre lessexes, aggravé encore par les facteurs économiques.Bien qu’exceptionnel, il interroge lesfondements du droit et de la définition de la personnehumaine. Il nous place devant l’énigme dela maternité, de l’attachement et de l’amour maternel.Les explications psychologiques les plusconsensuelles quant au geste infanticide paraissentaujourd’hui fondamentalement limitéespar la non intégration des facteurs sociaux dansl’étude des processus de filiation et d’affiliation« psychiques », mais aussi dans la définition deSoi, le sens de Soi et la possibilité de l’attachementmaternel. Elles font souvent abstraction del’ambivalence de l’amour maternel et des forcesmises en jeu permettant de vaincre cette ambivalence.L’étude de l’infanticide, lorsqu’elle estportée à travers les âges ou à travers les civilisations,montre combien les facteurs culturelsorganisent les processus d’affiliation et les rôlessociaux dévolus à la mère. Ils s’intriquent étroitementavec les facteurs économiques.L’infanticide, surtout féminin, est aujourd’huibien plus répandu dans les pays où le statut dela femme est peu valorisé (voire discrédité) horsdes domaines de la procréation et plus généralementde l’ensemble des aspects liés à la maternité.Il n’est pourtant pas également présentdans toutes les sociétés inégalitaires quant auxgenres, montrant qu’aucun facteur univoque nepeut expliquer les taux très élevés rencontrésparfois. Dans les sociétés inégalitaires quant auxgenres, la grossesse et les relations sexuelles endehors du mariage sont souvent fortement réprimées; la femme et son enfant se voient en ce casrejetés ou blâmés au sein de leur propre famille,exclus du socius, voire en certains lieux gravementcondamnés. Pour certains auteurs, dansces conditions, l’infanticide est un crime contreles femmes, l’élimination des filles nouveau-néesprolongeant l’opprobre dont les femmes sontvictimes, une forme de violence se surajoutant àd’autres.La diffusion rapide des techniques diagnostiqueséchographiques par le fait de la mondialisationa conduit à une importante réduction du tauxd’infanticides dans les pays connaissant une forteindustrialisation, mais à la multiplication des| 45