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| Expériences humanitaires dans un contexte post-génocide au Rwandalivre « Survivantes : Rwanda dix ans après », ellenous donne deux exemples de sa rencontre avecles humanitaires :• Des psychologues d’Oxfam sont envoyés pourun débriefing, qui pour une fois est offert auxnationaux (ce genre de service n’est habituellementréservé qu’aux seuls collègues expatriés).Les psychologues voulaient les écouter mais àleur manière : ils voulaient entendre leurs rêveset cauchemars. Ester et ses collègues avaienthonte de dire qu’ils dormaient bien, qu’ils ne faisaientpas de cauchemars. Ils n’avaient peut-êtrepas encore eu le temps qu’il fallait pour en faire.De plus, ils avaient besoin qu’on écoute leur vraiedemande du moment, à savoir qu’on leur prête laJeep de l’équipe pour sillonner les camps à la recherchedes éventuels membres de leurs famillessurvivants. Les psychologues d’Oxfam ont considéréque ces nationaux ne prenaient pas au sérieuxleur travail. « Je ne voulais quand même pasm’inventer des rêves que je n’avais pas » ! dit EsterMujawayo. On est là au cœur de l’incompréhensionet de la non-rencontre avec l’autre.• Dans un deuxième exemple, elle relate une réunionde coordination de l’UNICEF, où les ONG quise sont partagé les différents domaines discutentde leurs méthodes d’intervention. L’UNICEF étaitchargé de la réhabilitation psychologique ; uneresponsable de l’action explique sa méthode :« écouter les enfants, les faire dessiner, repérerleur traumatisme puis traiter ce traumatisme parles entretiens psychologiques ». Ester, sociologue,n’est pas d’accord, elle pense qu’on ne peut pasévacuer les conditions sociales : ces enfants sontorphelins et ont faim. Elle propose donc qu’onprenne en compte les deux dimensions à la fois,car elle pense qu’un enfant qui a faim ne parlera nide ce qu’il a vécu, ni de son traumatisme. La responsablelui demande alors quel est son métier,pour lui rétorquer l’instant d’après : « ExcusezmoiMadame, mais vous n’êtes pas professionnelle,vous ne pouvez pas comprendre ». Tout lelong de ces 17 ans qui nous séparent du génocide,on réentendra souvent ce genre d’arguments : ducôté des nationaux, on ne sera jamais assez ceciou cela pour avoir un droit d’opinion. Pourtant,et c’est paradoxal, des responsables des ONGs’entourent toujours de nationaux sensés être leurhomologues, voire les initiateurs des actions ayantune fonction de légitimation.On constate combien il est difficile de se départirdes logiques d’intervention et des modèlesprofessionnels dont on est héritier. Mais faut-ils’en déprendre ? Je ne pense pas, car ces cadres àpenser restent importants, particulièrement dansun tel contexte.Il me semble qu’il faut surtout prendre le temps,de se poser des questions sur la manière dont onagit sur l’autre, - le pourquoi est souvent clair- ;ce qui l’est moins, ce sont généralement les effetspervers qui s’infiltrent dans les actions humanitaires,a fortiori quand on se retrouve dans descontextes où la culture ne peut plus faire contenantet où les idées véhiculées risquent d’être saisiespar toute une société pour en faire de nouvellescroyances.Prenons la notion de « sensibilisation » qui a étévéhiculée et s’est bien implantée au Rwanda :sensibilisation des populations pour reconnaîtreles symptômes de la crise traumatique, sensibilisationdes femmes victimes de viols quant àl’importance de témoigner, sensibilisation à laréconciliation, au pardon. Autant d’incitations quiprennent des allures de normes sociales pouvants’avérer violentes pour les victimes… Il est certesessentiel d’avoir au sein de la population despersonnes capables de repérer, aider et orienterles sujets en souffrance, que les femmes puissentsortir de la honte d’avoir été violées, qu’ellepuissent en parler pour que justice se fasse, quela société qui a été divisée par le génocide travailleà sa reconstruction et à la réconciliation… Tous lesacteurs s’accordent sur ces impératifs.Mais que se passe-t-il quand ces modèles segénéralisent et sont introjectés, lorsqu’ils ont étéavalés tel quels, barrant toute possibilité de se| 57

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