Les cahiers de Rhizome : La mondialisation est un déterminant social de la santé mentalede populations devenues de plus en plus mobiles,aux profils de plus en plus diversifiés :femmes, enfants mineurs, qualifiés, cerveaux,entrepreneurs, touristes mais aussi populationspeu qualifiées ou acceptant une forte déqualificationet venues offrir leurs bras et parfois leurcorps.du sud, ancienne région d’émigration devenuerégion d’immigration, mais aussi de l’Europede l’est où s’installe une chaîne migratoire d’esten ouest : tandis que les Polonais vont travailleren Allemagne, au Royaume-Uni ou en Irlande,les Ukrainiens et Biélorusses vont travailler enPologne.| 20Les migrations atténuent les grandeslignes de partage du mondeCes mobilités, qu’elles soient temporaires,pendulaires ou définitives, affectent plus particulièrementles grandes lignes de partage dumonde, là où les écarts de richesses, de niveaude vie, de profils démographiques, de régimespolitiques, sont les plus criants. Ainsi, laMéditerranée est devenue l’une des plus grandesfractures du monde, où une population âgéeà 50% de moins de 25 ans sur la rive sud et pourle tiers au chômage fait face à une démographievieillissante en Europe, l’âge médian (âge quisépare de façon égale la population en deuxgroupes) étant passé en 50 ans de 28 ans à41 ans en Italie, alors qu’en Afrique sub-saharienneil est de 19 ans. Une autre grande lignede fracture est formée par la frontière entre leMexique et les Etats-Unis, la plus importante dumonde par le nombre de passages clandestins etde sans-papiers vivant aux Etats-Unis (quelques11 millions), puis par celle séparant la Russiede la Chine où le face à face entre population,territoire et ressources du sous-sol est particulièrementvif. Certaines régions du mondeont connu récemment de grandes mutationsmigratoires, passant du statut de pays de départà celui de pays d’accueil : c’est le cas de l’EuropeParmi les enjeux qui pèsent sur l’avenir des migrations,l’enjeu démographique oppose une populationriche et vieillissante d’un côté, pauvre,jeune et disponible de l’autre, où les pénuries demain d’œuvre sont caractérisées par un marchédu travail qui manque de bras mais qui cherchepourtant à n’attirer que les plus qualifiés (Europe,Etats-Unis, Canada). L’enjeu énergétique entraînela quête de ressources naturelles (pétrole,minéraux, eau) en échange de grands travaux(continent africain). L’enjeu politique est alimentépar de grandes crises porteuses de migrationsforcées et où des facteurs institutionnels limitentla mobilité ou créent au contraire des solidaritéstransnationales par delà les frontières des Etats.Les questions environnementales (désertification,réchauffement climatique, catastrophesnaturelles, appauvrissement des sols) ainsi quela faim et l’urbanisation galopante sont aussià la source de nombre de migrations futures,faute d’alternatives à la migration. Le réchauffementclimatique et les catastrophes naturellesoccasionnent des déplacés environnementaux :dégel, inondations, immersion d’îles s’élevantà quelques mètres au-dessus du niveau de lamer, cyclones et tornades, tremblements deterre, éruptions volcaniques. Les experts duclimat prévoient que d’ici 2050, le nombre de cesdéplacés pourrait s’élever à un chiffre oscillantentre 50 et 200 millions, doublant le nombre desmigrants internationaux.Les relations entre migrations et développementpour lesquelles les travaux de spécialistes montrentque le développement, loin de mettre finaux migrations dans les pays pauvres et émergents,est souvent un facteur d’accroissementdes mobilités du fait de l’urbanisation, des progrèsde la scolarisation et de l’individualisationdes décisions migratoires qui dessinent desspirales migratoires. La migration apporte unmieux-être, voire une assurance par les transfertsde fonds, l’accès à la monétarisation del’économie, à la consommation, à la santé, touten préparant de futurs candidats à la migration
| Les migrations internationales, un enjeu mondialcar peu de migrants investissent dans leurs paysde départ, qu’ils considèrent comme corrompus,non démocratiques, indignes de confiance poury investir sur place ou retourner y vivre. L’enjeudes politiques de développement est désormaisde restaurer la confiance dans les pays dedépart, quand la migration devient une forme dedissidence par rapport à l’Etat. Elle traduit uneabsence d’espoir dans la capacité des pays dedépart à offrir un changement de vie. La globalisationdes migrations transforme aussi lacitoyenneté. Elle enrichit celle-ci de nouvellesvaleurs comme la diversité culturelle, la luttecontre les discriminations, le dialogue des civilisations.Tous ces facteurs déterminent unerecomposition des sphères d’influence des Etatsd’accueil et de départ.Les facteurs de recomposition dessphères d’influenceOutre les facteurs démographiques, l’inégale répartitiondes richesses, l’information, la constitutionde diasporas transnationales, l’économiedu passage, l’urbanisation rapide des régions dedépart, les crises politiques, les liens culturelset linguistiques à la source d’une place accruedes migrations sur la scène internationale, unélément nouveau s’est ajouté : le changementde regard sur la migration. De marginale qu’elleétait hier politiquement, elle est devenue un enjeuinternational central aujourd’hui.Non sans paradoxe, alors que les échanges semultiplient et que la mobilité est valorisée, seulela mobilité des hommes fait l’objet de restrictions,au nom de la sécurité et de craintes pourl’intégration. C’est ce que certains appellent« le paradoxe libéral », ce qui est bon économiquementest jugé risqué politiquement. JamesHollifield montre à ce propos que politiquement,le commerce international et les migrationsobéissent à une logique inverse. Les Etats lesplus pauvres poussent vers l’ouverture des frontières,les Etats les plus riches veulent contrôlerles migrations et fermer les frontières, tout envoulant une plus grande ouverture du commerceinternational.Un nombre croissant de pays sont concernéspar la migration, mais près d’une personnesur dix est migrant dans les pays riches contreune personne sur soixante dix dans les paysen développement. Des sphères d’influencese redessinent à travers ces paramètres de-venus fondamentaux, découpant le monde enchamps migratoires nouveaux. Une diplomatiedes migrations et des réfugiés se construitrégionalement, par les pays d’accueil, par lespays de départ et par les migrants eux-mêmesqui deviennent ainsi acteurs occasionnels desrelations internationales dans la mesure où ilstentent d’infléchir les politiques étatiques.Autant d’éléments émergents qui montrent lapart des migrations dans la recomposition desrelations internationales.• La populationSi la population n’est plus l’un des attributs dela puissance, en revanche, sa répartition et sesprofils démographiques dessinent les contoursdes mobilités présentes et à venir. Le mondes’achemine vers un big bang démographique :la population mondiale est de 6,5 milliardsd’habitants et atteindra 8 milliards en 2030 et9 milliards d’ici 2050. En Europe, une grandepartie des populations actives d’aujourd’hui,(les « baby boomers ») entrera dans une phasede vieillissement ou de grand vieillissementpour certains à ces dates, avec des générationsfutures moins nombreuses, notamment dansdes pays comme l’Allemagne, l’Espagne, l’Italiequi connaissent une baisse vertigineuse deleur taux de natalité. L’Allemagne, d’ici 25 ans,pourrait ainsi perdre 4 à 7 millions d’habitants,car le tiers de femmes, notamment chez les diplômées,n’a pas d’enfants. En Russie, le déclindémographique se chiffre par une perte d’unmillion d’habitants par an et l’espérance de viemasculine a régressé depuis vingt ans. La France,malgré une bonne situation démographique,comptera d’ici 2030 un Français sur deux de plusde 50 ans et les inactifs y seront plus nombreuxque les actifs. Ce vieillissement coûte cher enEurope, socialement et économiquement. LesEtats-Unis sont la seule nation industrielle aumonde à rester jeune grâce à son immigration,notamment en Californie et dans les autres Etatsdu sud où elle est synonyme de dynamisme et decroissance. D’autres régions du monde ont unepopulation qui va continuer à croître, commel’Inde ou le continent africain. L’Inde s’acheminevers 1,6 milliard d’habitants en 2050, la Chine vaconnaître un tassement de son milliard et demid’habitants à cause de la politique de l’enfantunique en milieu urbain et l’Afrique aura dépassél’Inde et la Chine à la fin du siècle avec plusde deux milliards d’habitants. Mais le migrant| 21