Les cahiers de Rhizome : La mondialisation est un déterminant social de la santé mentaleLa prise en compte par l’OCDE dela souffrance au travail et du rôlede la hiérarchie•Veerle MirandaEconomiste àl’Organisation deCoopération et deDéveloppementÉconomiques(OCDE)Les troubles mentaux représentent un problème croissant dans la société, affectantde plus en plus la productivité et le bien-être des personnes au travail. C’estune question qui a trop longtemps été négligée, reflétant la honte, les peurs etles tabous qui se rattachent aux troubles mentaux. Les possibilités d’emploi despersonnes en mauvaise santé mentale sont faibles, celles qui exercent un emploirencontrent souvent des difficultés au travail, et les cas d’invalidité pour raison demauvaise santé mentale sont fréquents et en augmentation.1. www.oecd.org/els/invalidite| 28Les troubles mentaux représentent un fardeauéconomique complexe, qui englobenotamment les coûts directs du système desanté, ainsi que les coûts indirects bien plusélevés supportés essentiellement par le systèmede sécurité sociale et le marché du travail.Les coûts de la mauvaise santé mentale, estimépar l’Organisation Internationale du Travailà 3-4 % du produit intérieur brut dans l’UnionEuropéenne, sont une conséquence directe desa prévalence élevée. À tout instant, environ20 % de la population d’âge actif dans la zoneOCDE souffre de troubles mentaux au sens cliniquedu terme. Tout au long de la vie, la prévalenceest même deux fois plus importante.Le risque est donc élevé, pour chacun d’entrenous, de connaître des problèmes de santémentale à un moment donné au cours de notrevie active.Bien que la mauvaise santé mentale constituel’un des principaux défis pour les politiquessociales et du marché du travail dans les paysde l’OCDE, on en sait peu sur les liens entresanté mentale, invalidité et emploi. Dans quellemesure la mauvaise santé mentale influe-t-ellesur les possibilités d’emploi ? La transformationde l’environnement de travail contribuet-elleà l’augmentation des cas d’invalidité pourmauvaise santé mentale ? Quel est le rôle dusystème de soins de santé au regard de la situationprofessionnelle des patients ? Pourquoiles jeunes dans les pays de l’OCDE sont-ils deplus en plus nombreux à être admis au bénéficede prestations d’invalidité sans avoir jamais travaillé? Les éléments dont on dispose pour traiterces questions sont parcellaires ou incomplets ;beaucoup de facteurs importants restent inconnusou mal compris, et les croyances erronéessont nombreuses.Le rapport de l’OCDE 1 « Mal-être au travail ?Mythes et réalités sur la santé mentale etl’emploi » (OECD, 2011) vise à cerner les donnéesmanquantes, à enrichir la base de connaissanceset ainsi à remettre en question certainsmythes, et à donner une vision plus complètedes défis stratégiques sous-jacents. Cette étudevient à point nommé car les responsables publicsde la zone OCDE s’efforcent de promouvoirla création d’emplois afin de sortir de la grandedépression, dans un contexte de ressourcesbudgétaires souvent limitées. En tout état decause, la crise profonde a accru la précaritéde l’emploi et la pression sur les travailleurs,risquant d’aggraver la détresse psychologiqueet renforçant la nécessité d’agir. Les pouvoirspublics devront poursuivre les réformes structurellesen vue de promouvoir un usage efficacede l’offre de main-d’œuvre ; à cet égard, il seraessentiel de veiller à la santé mentale des travailleurset d’accroître la participation au marchédu travail de ceux atteints de troubles mentaux.C’est une condition indispensable pour renforcerla croissance économique et améliorer la cohésionsociale, compte tenu du lien entre santé(mentale), emploi et productivité.Les sections suivantes sont extraites du rapportqui met en lien la santé mentale avec le contextede travail actuel.Le contexte de travail actuelL’emploi a des effets positifs manifestes sur lasanté mentale puisqu’il confère statut social, sécuritédes revenus, cadre structurant, sentimentd’identité et de réussite, et estime de soi, tout en
| La prise en compte par l’OCDE de la souffrance au travail et du rôle de la hiérarchieoffrant la possibilité d’interagir avec les autres.Le travail est en soi un facteur déterminant del’inclusion sociale et il n’est pas surprenant quela plupart des inactifs atteints de troubles mentauxexpriment le souhait de trouver un travail.Les individus qui occupent un emploi tendentà avoir une meilleure santé mentale que leschômeurs. Néanmoins, la qualité de l’emploientre en jeu. Un emploi de qualité médiocre ouun environnement de travail malsain sur le planpsychologique peuvent fragiliser la santé mentaleet, partant, influencer la situation de chacunsur le marché du travail. Dans tous les pays del’OCDE, les travailleurs sont confrontés à uneévolution des conditions de travail sous l’effetdes ajustements structurels opérés au coursdes dernières décennies. La question est désormaisde savoir si cette évolution pourrait nuire àla santé mentale des travailleurs.De fait, certaines conditions de travail susceptiblesd’avoir un effet négatif sur la santé mentalesont devenues plus courantes ces dernières annéesdans de nombreux pays de l’OCDE. Cette situation,couplée à la montée récente du chômageet de l’insécurité de l’emploi, pourrait contribuerà une détérioration de la santé mentale moyennedes travailleurs dans les pays de l’OCDE.• Certaines conditions de travailse sont amélioréesSi les taux d’emploi et d’activité ont augmentéces vingt dernières années, le taux de chômagea également progressé considérablement. Cettepoussée du chômage tient principalement à larécession subie dernièrement par tous les paysde l’OCDE. La montée récente du chômage devraitavoir des effets négatifs sur la santé mentaledes nombreuses personnes qui ont perdu leuremploi au cours de cette période. Parallèlement,la santé mentale de ceux qui ont toujours leuremploi devrait être elle aussi mise à mal sousl’effet de l’accroissement de l’insécurité del’emploi et des restructurations économiques.La structure de l’emploi continue d’évoluer dansles pays de l’OCDE, avec un transfert des secteursagricole et manufacturier vers le secteurtertiaire. La proportion de travailleurs occupantun emploi dans le secteur manufacturier oud’autres branches d’activité productrices debiens a considérablement diminué, tandis quela part des travailleurs qui occupent un emploidans les professions intellectuelles, scientifiqueset techniques a fortement progressé. Dansles professions de bureau moins qualifiées,la situation est plus mitigée : la proportion detravailleurs occupant des emplois administratifsa diminué, tandis que la part des travailleursdans le secteur de la vente a augmenté, ce quilaisse à penser que l’emploi dans les professionstraditionnellement associées au stress(c’est-à-dire les professions peu qualifiées) tendà augmenter.Au total, la proportion de travailleurs bénéficiantd’un contrat temporaire est orientée à la hausse,tandis que l’ancienneté moyenne dans l’emploidemeure relativement stable dans la zone OCDE.La progression de l’emploi temporaire et decourte durée montre que le marché du travail estdevenu plus dynamique, ce qui devrait accroîtrel’insécurité de l’emploi. Le nombre d’heurestravaillées par semaine continue de diminuer enmoyenne, ce qui s’explique par l’incidence croissantedu travail à temps partiel et par la baisse dunombre de personnes qui effectuent de longuesheures de travail. La proportion de travailleursaux horaires de travail atypiques (travail de nuit,le soir et les week-ends) a fortement chuté. Lenombre de personnes qui déclarent pouvoirconcilier vie professionnelle et vie familiale aaugmenté, ce qui peut être lié à la diminution dunombre total d’heures travaillées et des horairesde travail atypiques. Le lien entre santé mentaleet temps de travail n’est pas nécessairementdirect. Ainsi, même si le fait de travailler beaucouppeut entraîner des problèmes psychologiques,de longues heures de travail peuvent aussi êtreassociées à une plus grande satisfaction professionnelle,surtout lorsqu’il s’agit d’améliorer sesperspectives de carrière et d’acquérir une plusgrande autonomie au travail.• Mais les facteurs de risques psychosociauxse sont également accrusDe nombreux travaux ont démontré que certainsaspects du stress au travail, comme une fortedemande psychologique, un manque de maîtrisesur les tâches à accomplir et une forte insécuritéde l’emploi, constituent des variables explicativesde certains troubles mentaux courants.L’exposition dont font état les travailleurs dela zone OCDE à diverses conditions de travailsources de stress évoque une croissance tendancielledes demandes psychologiques ou desefforts exigés des travailleurs. À 57 % en 2010, laproportion de travailleurs déclarant être contraintsde fournir une forte intensité de travail| 29