Les cahiers de Rhizome : La mondialisation est un déterminant social de la santé mentale| 70– et psychique, actuel et actualisé. Le temps del’inconscient. Il véhicule des mouvements divers,parfois contradictoires, paradoxaux depuisla nuit des temps. Ainsi en est-il du temps de lamondialisation.La mondialisation est rapport de forces, guerrede territoires géographiques, politiques etfinanciers. Elle suit une logique économique etfinancière où règne la loi du plus fort. Cette logiqueinfluence le financement du travail social,la conception de nos formations ainsi que nospostures. Elle met en évidence la confrontationde plusieurs perceptions du monde, de sa placedans le monde. Les métathéories du mondedistribuent leurs effets sur les Etats-nations, lesinstitutions et jusque dans les relations professionnelles.Les relations professionnelles sontcadrées par des théories explicites et implicites :théories du soin, théories de la prise en charge,théories de soi et de l’autre. Ces petites théoriess’inscrivent dans les grandes, les métathéories.La prise en charge d’un enfant ou d’un adolescentdans le monde actuel se fait souvent dans unrapport de force où s’affrontent théorie du professionnel,de son institution de rattachement,du contexte social de la rencontre et théorie del’enfant, relais partiel de celle des familles, surplusieurs générations. En effet, sur le plan cliniquedes prises en charges, la mondialisationfait encourir le risque de « maltraitance théorique» (Sironi, 2007). « J’appelle maltraitancethéorique, dit l’auteur, une maltraitance induitepar les théories, les pratiques et les dispositifsthérapeutiques inadéquats ». Par exemple, desphrases du genre « c’est pour ton bien », « il fautqu’il s’intègre », « qu’il respecte les règles dechez nous », « qu’il parle français comme toutle monde » peuvent témoigner de cette formede maltraitance, de même que certaines attitudeset comportements subtils de la part desprofessionnels et des institutions : rejet, mépris,silence, etc.La mondialisation suscite des tensions interculturelleset soulève des problématiquesidentitaires. Les revendications identitaires, lescommunautarismes, les essentialismes querelatent les médias illustrent bien sur la scènepublique ce qui s’agite dans les familles, lesinstitutions, entre les nations mais aussi dansla psyché de chaque individu aux prises avecl’altérité.Enfin la mondialisation pose l’épineuse questiondu dialogue interculturel, où, comment penserce dialogue? Entre deux personnes ou au seind’une même personne ? Nous faisons l’hypothèsequ’avant sa manifestation dans l’espace externe,les conditions de possibilité de ce dialogue sontd’abord travaillées dans l’espace interne. Demême, ce qu’on va appeler « choc de cultures »(Camillieri, 1989) ou « choc des civilisations »(Hungtington, 1996) est d’abord un choc interne,un choc dans le monde interne que la géohistoirede la rencontre permet d’élaborer.Géohistoire de la rencontre cliniqueLa rencontre clinique est une rencontre d’aumoins deux subjectivités, de deux histoires personnellesissues et articulées à d’autres histoirescollectives. Elle est un lieu privilégié pourressentir les effets de transfert et de contretransfert.Il s’agit d’une relation inégale, asymétriqueoù le professionnel est (mis) à la place decelui qui sait, d’où la tentation de la transformerconsciemment ou inconsciemment en une relationde pouvoir.La Géohistoire « associe les outils de l’histoireet de la géographie pour prendre simultanémenten compte l’espace et le temps des sociétés. Al’heure de la mondialisation, cette démarchehybride vise à penser le Monde tel qu’il s’estélaboré sur le long terme » (Grataloup, 2008).J’appelle géohistoire de la rencontre cliniquel’Histoire globale du parcours spatio-temporel,géographique, interculturel qui a conduit un professionnelet un « patient » (enfant, adolescent)
| Clinique de la Mondialité : vers une géohistoire de la rencontre cliniqueà se rencontrer dans les temps chronologiqueet psychique, dans l’espace extérieur et intérieur,dans le monde externe et le monde interne,dans une perspective phénoménologique etau niveau latent. Cette rencontre ne va pas desoi. Il ne suffit pas de se voir pour se rencontrer.Pour avoir toute sa richesse, la rencontre doitaller au-delà des signifiants manifestes et duparaître, pour interroger les motifs inconscientsde la relation. La prise de conscience de cetteHistoire détermine l’efficacité de la rencontre.La géohistoire de la rencontre clinique permetd’accueillir et d’apprécier les niveaux macro-,méso- et micro- du transfert. Nous sommes habituésau niveau micro du transfert, celui qui sepasse dans la relation duelle, intersubjective. Ladynamique relationnelle avec les professionnelsva être marquée de toute une série d’émotions etde sentiments. Les travaux sur le groupe (Kaës,1993, 1976) nous ont introduits depuis longtempsdéjà aux mouvements de transferts dansles groupes institutionnels, familiaux. Les émotionsexprimées dans la relation duelle ont aussides origines familiales, institutionnelles. C’estle niveau méso qui influence beaucoup le niveaumicro. Mais la dynamique du transfert/contretransfertdépasse les institutions, elle se repèreà l’échelle d’un pays, d’une nation, de relationsinternationales, elle se repère au niveau mondialet ce niveau macro influe subtilement maissûrement sur ce qui se passe dans l’intimité desinstitutions et des « sujets » appelés à s’y rencontrerà des fins diverses. Par exemple, le contexteFrance de la rencontre ainsi que les liensexplicites ou implicites avec des patients venusd’Afrique risquent de véhiculer des vécus spécifiquesdans la dynamique relationnelle. Ces vécusseraient différents si ces patients venaientdes Etats-Unis d’Amérique ou d’Angleterre, paysqui ont (eu) d’autres relations avec la France.C’est cette globalité que tente de cerner lemodèle de la « Clinique de la Mondialité ».Le modèle de la Clinique de la MondialitéJe donnerai maintenant quelques éléments d’unmodèle (en construction) permettant de penserla géohistoire de la rencontre clinique. Nousvivons dans un contexte mondialisé qui influed’une manière ou d’une autre sur nos pratiques.Si la mondialisation est la loi du plus fort, la mondialitéest celle du dialogue, du partage équitabledes cultures. La mondialité est relative au Vivreensemble avec soi-même pour pouvoir vivreensemble avec les autres (Derivois, 2010).Une définitionLa Clinique de la Mondialité est une dispositiond’esprit dans laquelle le clinicien (professionnel)se préoccupe de penser le sujet singulier dans lemonde et en même temps de repérer le mondial/global dans les moindres expressions du sujetsingulier. Elle vise à amener le sujet singulier àse penser dans le monde en même temps qu’ilse pense dans le pays où il vit, dans ses groupesd’appartenance (famille, institutions, etc.), dans larelation interpersonnelle et dans son intimité.Le mondial désigne ici l’actualisation et l’expressiondes grandes problématiques historiqueshumaines du monde qui touchent de près ou de lointout individu confronté à l’imprévisible de la planètemigratoire, ainsi que les postures affichées parles professionnels pour la lecture, l’appréciationet l’interprétation de ces symptômes.Au niveau de l’expression de ces problématiquesmajeures, on peut citer trois « axes paradigmatiques» de fond sur lesquels un certain nombrede pathologies vont se développer : la dialectiqueviolence subie/violence agie (attaque de l’autre,attaque de soi, dépression, suicide, etc.), le déplacementgéographique et historique des populations(migration choisie, forcée, économique,intellectuelle, etc.) et l’impasse et les souffrancesidentitaires (essentialismes, nationalismes,communautarismes, etc.). Ces trois champsconstituent trois chantiers majeurs pour la miseà l’épreuve d’une clinique de la mondialité. Onles retrouve condensés dans les symptômes etproblématiques rencontrés dans nos milieux socio-juridiques,éducatifs, scolaires et sanitaires.Pour aider le sujet à se penser dans le mondeet à penser la dimension mondiale dansl’expression de ses symptômes, le clinicien (toutprofessionnel) a lui-même besoin de se penseret de penser la manière dont le mondial infiltreses dispositifs, ses postures et sa perception desfaits cliniques.Parmi les vieilles postures (coloniales) qui infiltrentla pratique du clinicien, je propose de distinguer :le clivage idéologique qui consiste à voir le mondeen deux (Civilisés/Barbares ; Noirs/Blancs ;Eux/Nous, etc.), l’ethnocentrisme qui consisteà voir le reste du monde à partir de son prismeculturel et l’impérialisme culturel et scientifiquequi consiste à vouloir transformer l’autre à sonimage, à une « norme », tel que cela a été pratiqué| 71