Les cahiers de Rhizome : La mondialisation est un déterminant social de la santé mentale3. Exceptionnellementdu fait direct du pèreou de la grand-mèrematernelle, bien queceux-ci puissent jouerselon les époques etles civilisations unrôle déterminant dansla décision de l’acte.4. Processusd’inclusion dans lemonde des« humains ». Lesmeurtres coutumierset les génocidesont été souventprécédés de ritesou d’équivalentsrituels d’exclusiondu monde deshumains (retrait dunom ou qualificationsanimalesnotamment).| 46avortements sélectifs. Ce phénomène reproduit,un siècle après celui constaté en Occident, la réductiondrastique des infanticides et la progressiondes avortements devenant moins dangereuxet surtout légaux. Toutefois le progrès des droitsdes femmes, les nouveaux statuts de l’enfant illégitimeet l’autonomie du travail salarié féminin ontsemblent-ils aussi joué un rôle important.Le droit : des peines sévères rarementappliquéesSelon les époques et les cultures, les crimescommis contre les nouveau-nés, presque exclusivementdu fait des mères 3 , ont donné lieu à uneattitude clémente ou à une sévérité parfois impitoyable.Dans l’Antiquité, nombre de civilisationsont fait peu de cas des nouveau-nés, au moinsavant l’attribution d’un nom. En France, au MoyenAge l’infanticide était souvent puni avec une extrêmesévérité quand il était jugé, mais il l’était assezrarement ou bien ne pouvait être qualifié. Durantl’Ancien Régime, dans de multiples aires culturelleseuropéennes, l’infanticide et l’avortementfurent longtemps tolérés, voire perçus commenécessaires en cas de surcharge démographique.A partir du 16 ème siècle, le baptême placé aucentre du débat religieux a grandement contribuéà rejeter l’infanticide du côté de l’intolérable(D Tikova) : les enfants morts sans baptême étaient,selon la doctrine catholique, privés de salut. Nousretrouverons un point clé où apparaît sinon laculpabilité, au moins la notion de crime : aprèsle début ritualisé du processus d’humanisation 4 ,il est total. Les peines terribles étaient surtoutérigées en repoussoir (les moins graves étaientla pendaison ou la décapitation). Les juges euxmêmestendaient à ne pas les appliquer invoquantsurtout le doute et les femmes étaient rapidementlibérées.Au 19 ème siècle, la mortalité décroît progressivementmais la misère sociale et l’exploitationéconomique de l’enfant se sont largement développées.Le compte général de la justice criminelleédité depuis 1825 renseigne sur tous les infanticidesconnus ou suspectés. Ils sont environ 1000par an au début du 19 ème siècle et représentent environun tiers des crimes de sang. En 1810, la préméditationest exclue de la définition, l’assassinatn’est donc plus retenu comme qualificatif de lapeine. Tout au long du 19 ème et 20 ème siècle, malgréla sévérité du code Napoléon, persiste une grandeclémence des jugements. Les fondements en droitde l’indulgence sont liés aux trois conditions nécessairespour qu’il y ait infanticide : que la victimesoit un nouveau-né, quelle soit née vivante et qu’il yait eu l’intention de donner la mort ; sur chacun deces thèmes, les tribunaux vont arguer d’incertitudepour réduire la peine ou prononcer l’acquittement.En 1810, la préméditation est exclue de la définition,l’assassinat n’est donc plus retenu commequalificatif de la peine. Un siècle plus tard, le qualificatifest rétabli mais la peine est réduite, chezla mère seule. En 1941, le gouvernement de Vichyqui rappelons-le, pouvait condamner l’avortementde façon extrêmement sévère, ôte à l’infanticideson statut de crime. L’objectif était de le faire jugerpar des magistrats professionnels réputés plussévères et non par des jurys populaires souventindulgents et compatissants. En 1954, l’infanticidefut recriminalisé, mais la peine était alors réduite.Il est défini comme le meurtre ou l’assassinat d’unenfant nouveau-né, commis avant l’expiration dudélai de trois jours imparti pour déclarer l’enfantnouveau-né à l’état civil. La relative clémence deslégislateurs, et celle encore plus effective, desjurés allaient de pair avec une conception selonlaquelle l’infanticide était commis par une mèrequi, « dans le désordre de ses facultés physiqueset morales […], [avait] agi presque à son insu »,« ces jeunes filles [étant] […] plus malheureusesque coupables ».Aujourd’hui le code pénal français n’accorde plusd’intérêt à la spécificité du crime : il s’agit d’un homicidecomme tout autre homicide mais aggravépar la vulnérabilité de la victime. De fait, il ne bénéficieplus de l’atténuation de peine de principe quiétait présente non seulement dans la loi françaisejusqu’en 1994 mais aussi dans « l’Infanticide Act »qui depuis 1938 inspire de nombreuses législationsde droit anglo-saxon (Royaume-Uni, Canada,Australie, Danemark ou Suède) : la préméditationn’est pas retenue. Les crimes maternels commisavant la fin de la première année connaissent dansces pays une atténuation de peine de principe et laplupart des femmes bénéficient d’une probationet d’un suivi psychologique.Les classifications psychiatriqueset la symbolique de l’humanisationCe n’est qu’au 19 ème siècle que l’infanticide entrede plain pied dans le domaine de ce qui sera lapsychiatrie à travers notamment les avis d’expertsjudiciaires. D’emblée, les concepts que la psychanalysenommera un siècle plus tard « ambivalence
| Attachement et mondialisation : l’infanticide, signe d’un malaise dans la parentalitéUn crime sans pathologie psychiatrique ?En dehors des situations de délire avéré, nosconnaissances ont peu avancé. En 1874, pourTardieu, « ce n’est pas la folie, ce n’est même pasla perversion transitoire des facultés ». En 1897,Bouton, magistrat, avance l’idée que le geste infanticideest un équivalent suicidaire qui résultedu manque d’individuation du nouveau-né avec lamère : « Pour la fille […] qui souffre et se débatrègne en maîtresse la pensée que l’enfant [sortide son sein] est un prolongement de son corps[…]. Si le suicide lui semble permis, pourquoi nepourrait-elle alors tuer une partie de son être »?D’autres encore plaideront pour la psychose transitoire,en l’absence même de délire. Ce pourquoirépond à la question : comment est-ce possiblepsychologiquement ?L’isolement social ou familial, voire l’hostilité del’environnement, la précarité, un faible niveau culturel,une pensée « magique », ou l’un de ces facteurs,caractérisent encore la majorité des mèresinfanticides. L’enfant ne peut être assumé, toutsemble s’y opposer. La naissance apparaît commeune catastrophe sidérant la pensée et l’action,conduisant à une sorte de préoccupation négativerécurrente. Etrangement, ni l’avortement, nil’abandon ne sont des solutions envisagées oualors vite écartées. Après une grossesse cachée,la mère met fin à la vie de l’enfant soit activementsoit en l’abandonnant, parfois dans un lieu quilui laisse la possibilité d’être retrouvé vivant. Laculpabilité est souvent présente, quelquefoisintense, mais sans que ces femmes replongéesdans le souvenir de la naissance aient pu envisagerune autre issue à cette grossesse, même rétrospectivement.Elles semblent s’être trouvées dansune véritable impasse psychique. Des troublespsychiatriques sont présents dans seulement 20 à30% des cas : syndromes dépressifs, personnalitéborderline, déni de grossesse, bien rarement épisodesdélirants, etc. S’ils favorisent le geste, ils nel’expliquent pas toujours. Environ 60 à 80 infanticides(parfois jusqu’à 100) seraient commis régumaternelle» et « folie maternelle ordinaire » serontdes points importants du débat. La questionessentielle étant de savoir si « l’accouchement,bien que naturel, peut modifier l’état généralde la femme de manière à développer en elle lepenchant au meurtre » (Michu, 1826 ; Briand,1821). Marcé, quant à lui, remarquera le sentimentd’aversion que peut éprouver une femmeenvers son nouveau-né, éclatant parfois en unvéritable délire, soulignant qu’ordinairement lessentiments tendres s’éveillent un peu plus tard.Il existe une multitude de classifications descrimes sur enfants selon leur moment de survenueet le lien de filiation : néonaticide avant un jour,filicide meurtre dans la lignée paternelle, libericidesans lien de filiation nécessaire. Infanticideest le terme le plus générique et le plus polysémique: meurtre d’un enfant quel que soit l’âge,seulement avant un an, d’un nouveau-né, etc.Nous désignerons ici par infanticide ce que désignaitla loi française avant 1995 : l’homicidecommis sur un nouveau-né avant qu’un nom luisoit attribué et déclaré à l’état civil dans la limitedes 72 heures après la naissance. Toutefois horsde France, l’aspect de la dation du nom reste peuconnu. Les infanticides cachés semblent toujoursavoir été commis sur des enfants sans nom.Un consensus psychiatrique, établi sur la propositionde Resnik, a permis de conserver une dénominationspéciale aux crimes commis sur lesenfants avant 24 heures de vie : le neonaticide.L’essentiel des infanticides précoces sont biencommis durant les 24 premières heures, souventimmédiatement après la naissance. Néonaticideet infanticide précoce sont donc, dans ce texte, àpeu prés synonymes.La loi française jusque 1994 introduisait l’opérationsymbolique de la dation du nom pour qualifierl’infanticide. La socialisation de l’être naissant,semble un point clé qui distingue, non seulementdu côté du droit mais aussi du psychisme,l’infanticide de tout autre crime. La nominationdu nouveau-né et le « dépôt » de son nom àl’état civil s’apparentent à un rite, ils en ont tousles caractères, rite « fondateur », en ce sens« qu’universel » (relativement à une société donnée)et incontesté. Culturel, il a sinon l’apparence,du moins l’« évidence », d’un fait de nature. Il estune condition sociale de l’humanité du sujet.Cette distinction, a priori étrange, de la déclarationà l’état civil révèle aussi un point clé du droiten général : le crime est la qualification d’un actecommis à l’encontre d’un être (la « victime ») à quila société reconnaît suffisamment d’humanité.Il s’agit de déterminer quand et dans quellesconditions ce caractère d’être humain peut êtreattribué ; dans le droit français actuel : être névivant. Toutefois avant 1995, avant d’être nommé,l’homicide du nouveau-né engageait moinssévèrement la responsabilité de la mère.| 47