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L’AUTRE TRAVERSÉE<br />
DES GLACES<br />
TRAVERSER LES PLATEAUX DU CHANGTANG EN HIVER.<br />
PUIS REJOINDRE LE ZANSKAR PAR LES GORGES DE LA<br />
KHURNA CHU. TROIS SEMAINES DE PROGRESSION, ENTRE<br />
SOLITUDE ET RENCONTRES NOMADES. UN ITINÉRAIRE<br />
D’AMPLEUR ISOLÉ ET EXIGEANT, QUE LES ANCIENS<br />
CHANGPAS CONNAISSENT POURTANT TOUJOURS…<br />
C’EST OÙ ?<br />
Cette traversée se déroule<br />
au sud de Leh (Himalaya<br />
indien), dans la chaîne<br />
du Zanskar. Elle démarre<br />
au niveau du lac Tso Kar,<br />
pour aboutir à la sortie<br />
des gorges de la rivière<br />
Zanskar, tous deux accessibles<br />
en jeep depuis Leh.<br />
Les routes vers le Ladakh<br />
étant fermées l’hiver, on<br />
atteindra Leh uniquement<br />
par avion.<br />
Leh, 24 janvier. Nous sommes venus discuter<br />
une dernière fois dans la maison de Meme<br />
Tchunik, un nomade « retraité » de la vallée de<br />
Korzok, aux marges du Changtang et du Rupshu.<br />
« Mais bien sûr ! Il arrivait, en cas de trop fortes chutes<br />
de neige, que nous quittions les hauts plateaux pour<br />
rejoindre le Zanskar ! Nous marchions soit sur Phuktal,<br />
puis Kharsha, en suivant la Tsarap… Soit sur Chilling,<br />
en empruntant les glaces de la Karnak Chu [ou Khurna<br />
Chu, ndlr]. Mais c’était il y a tellement longtemps<br />
maintenant… Plus personne n’a fait ça depuis des<br />
années et des années… » Reprendre à nouveau ces<br />
itinéraires. Côtoyer nomades et troupeaux<br />
changpas dans l’hiver immense de l’altitude, vers<br />
le lac Tso Kar. S’engager en grand vers le <strong>fr</strong>oid et<br />
les solitudes, dans les traces quasi oubliées des<br />
clans de Khorzok ou de Karnak. Relier des <strong>fr</strong>agments<br />
de mondes, entre les routes tibétaines du<br />
Ngari et celles du Ladakh, en un exercice aussi<br />
imaginaire désormais qu’immense et libre…<br />
Pourquoi pas ?<br />
DU GIVRE DANS LES LUNETTES<br />
26 janvier. Allongé sur la surface de glace sans<br />
fin, bras en croix, laisser le regard glisser à l’envers<br />
sur les horizons bleus du ciel et du lac Tso<br />
Kar désormais réunis. Étoiles de givre dans les<br />
lunettes. Magie sauvage des troupeaux de kiangs,<br />
à peine dérangés par notre présence. Mais entre<br />
le <strong>fr</strong>oid (-30 °C) et l’altitude (4 500 m), notre petite<br />
balade d’acclimatation finit par devenir une<br />
bavante à elle toute seule. Le passage du col, hier,<br />
à pousser les jeeps indiennes dans la neige, était<br />
vraiment limite. Un regret ? La brièveté des rencontres<br />
avec les nomades, à Puga. Les fumerolles<br />
des sources chaudes. Les chevaux. Les thés sous<br />
les tentes de laine, à discuter de la rigueur de<br />
cet hiver, des droits de pâturages ancestraux, des<br />
liens avec le Tibet et la poche de Tchi Mur, l’ancien<br />
axe d’entrée des caravanes tibétaines vers<br />
l’Indus, désormais reconvertie en zone de contrebande<br />
et de passage pour les réfugiés…<br />
30 janvier. Trois jours pour rejoindre le hameau<br />
de Yagang, en suivant l’axe de la Zara Chu. À vue :<br />
l’horizon de hautes falaises marquant les reliefs<br />
à venir du Zanskar. En été, Yagang est le quartier<br />
général des nomades de Khurna. Mais en ce<br />
moment, il n’y a strictement… personne. Derrière<br />
nous : suffisamment d’espace vide et de gel pour<br />
ne pas ressentir – presque – une ombre d’angoisse.<br />
Les sacs à pleine charge. La neige plus<br />
profonde que ce que nous attendions. La fatigue<br />
et le lent cisaillement du <strong>fr</strong>oid. Nous avançons<br />
<strong>com</strong>me des fourmis épinglées sur l’immensité<br />
de ces déserts blancs, vides, bluffant de beauté.<br />
Palme de l’étrangeté : la traversée de la route de<br />
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