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époque de Covid ou de post-Covid, le redémarrage des économies<br />
riches est aussi freiné par les pénuries de main-d’œuvre.<br />
Aujourd’hui, l’hôpital et l’agriculture ont besoin de bras, de<br />
talents venus d’ailleurs. Mais la rigidité du débat sur l’immigration<br />
rend la perspective insurmontable. Le blocage ne concerne<br />
pas que les immigrants potentiels « du Sud ». Les Européens,<br />
qui ont toute liberté à s’installer et à travailler dans l’UE ne<br />
plébiscitent pas la France (sauf pour s’y acheter une maison de<br />
campagne peut être…). Ils préfèrent le Luxembourg, l’Autriche,<br />
la Belgique, l’Irlande, l’Allemagne, le Danemark, la Suède, l’Italie,<br />
les Pays-Bas… Et toujours l’Angleterre, malgré le populisme<br />
ambiant et les « barbelés à la frontière ». Pour réussir, exister sur<br />
la scène, il faut aussi pouvoir attirer les talents, être compétitif à<br />
l’échelle du monde, faire venir les futurs prix Nobel, attirer les<br />
grands écrivains de demain, les sportifs, les entrepreneurs, les<br />
capitalistes, les scientifiques. S’ouvrir. Ce que faisait la France du<br />
XX e siècle en attirant l’élite internationale des arts, des sciences,<br />
des lettres… Dans ce monde sens dessus dessous, bouleversé<br />
par le Covid et les changements climatiques, où tout change<br />
vite, la France a encore un rôle à jouer. En tournant le dos à<br />
Zemmour, et à tous ceux qui font du déclinisme et de l’identité<br />
l’alpha et l’oméga du discours. En se réconciliant avec ellemême,<br />
avec sa nature plurielle. En tournant le dos aux discours<br />
« ethniques » pour se recentrer sur ce qui fait sa force dans un<br />
monde global : sa diversité. Et en focalisant sur les vrais sujets :<br />
les nouvelles croissances, les égalités sociales et géographiques,<br />
l’éducation, l’attrait.<br />
Les autres chemins sont une impasse. ■<br />
HERVÉ THOUROUDE<br />
Pascal Blanchard<br />
« La peur profonde : celle<br />
de ne plus être blanc demain »<br />
Pascal Blanchard est coauteur du livre Le Racisme en images :<br />
Déconstruire ensemble, une analyse historique d’illustrations<br />
et de photos racistes, agrémentée de contributions de personnalités.<br />
Il détaille le fonctionnement de cet imaginaire… encore prégnant en France, et permet<br />
d’appréhender l’aura du polémiste d’extrême droite. par Cédric Gouverneur<br />
<strong>AM</strong> : Dans votre livre, vous reproduisez une publicité<br />
de 1986 mettant en scène un cannibale. Et une affiche<br />
de 1989 où l’humoriste Michel Leeb pratique le blackface.<br />
Lilian Thuram témoigne, lui, des brimades subies à la<br />
récré, dans les années 1980, à cause d’un dessin animé en<br />
apparence anodin, La Noiraude, qui montrait une vache<br />
noire, hypocondriaque et stupide. Pour les autres enfants,<br />
elle ne pouvait être que le garçon noir de l’école !<br />
Ce sont des exemples concrets. Depuis la sortie du livre,<br />
beaucoup de gens sont venus nous raconter de telles anecdotes.<br />
Les stéréotypes, les préjugés, les images « humoristiques » sont<br />
un peu comme un mille-feuille : elles constituent des strates qui<br />
demeurent dans l’inconscient collectif. Une image, ce n’est pas<br />
comme un film, un livre ou un discours que vous avez le choix de<br />
regarder, de lire ou d’écouter. Elles ont une puissance de frappe<br />
hallucinante, elles s’imposent pour nous transmettre une vision<br />
du monde. En voyant ces images aujourd’hui, on s’imagine que<br />
l’on a pris nos distances, mais il demeure quelque chose dans<br />
l’inconscient collectif. Une dame m’a parlé des yeux en boules de<br />
loto des Noirs dans les caricatures coloniales : « Cela me faisait<br />
rire lorsque j’étais enfant. » Cette caricature, représentée sur des<br />
dizaines de milliers de cartes postales et dessins de presse de<br />
l’époque, sous-tend l’idée que le cerveau des Noirs serait plus<br />
petit, fonctionnerait moins bien et moins vite, une des théories<br />
racistes véhiculées par des « savants » du XIX e siècle. Lorsque le<br />
public rigolait, il intégrait, en fait, cette idée : les Noirs seraient<br />
moins intelligents que les Blancs ! Il y a une sorte d’échelle de<br />
Richter du racisme : étape 1, l’humour ; étape 2, la différenciation<br />
; étape 3, la xénophobie… jusqu’à l’étape 10, le Ku Klux<br />
Klan (KKK) et les nazis. Chacune, de 1 à 9, prépare le terrain<br />
de la dixième. Tout le monde – ou presque – est heureusement,<br />
aujourd’hui, horrifié par les images de propagande hitlérienne<br />
et celles du KKK. Mais beaucoup auront, au préalable, approuvé<br />
de manière inconsciente ces étapes intermédiaires.<br />
Vous montrez une publicité chinoise ahurissante, où une<br />
femme met un Africain dans une machine à laver, dont<br />
il ressort asiatique ! Elle serait impensable aujourd’hui<br />
en Europe, mais elle date seulement de… 2016 ! Malgré la<br />
Chinafrique, le racisme est toujours très présent en Asie ?<br />
En Asie, les « méchants » des mangas ont la peau foncée. Les<br />
Japonais se perçoivent comme blancs, et à Osaka, en 1903, un<br />
zoo humain présentait des Aïnous [peuple indigène de l’archipel<br />
nippon, ndlr], des Formosiens et des Coréens… La propagande<br />
coloniale japonaise avait même inventé un personnage coréen<br />
cannibale afin de justifier la conquête de la péninsule ! Le mécanisme<br />
est toujours le même : coloniser passe par l’acceptation de<br />
AFRIQUE MAGAZINE I <strong>422</strong> – NOVEMBRE 2021 35