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INTERVIEW<br />
<strong>AM</strong> : Comment traiter un tel sujet, à la fois<br />
écologique et social, sans être ni didactique<br />
ni dans le survol des enjeux ?<br />
Aïssa Maïga : Il s’agit d’une situation surréaliste : un désert en<br />
proie à la sécheresse qui, dans ses profondeurs, recèle d’une<br />
énorme masse d’eau d’une grande pureté. Il fallait donc être<br />
pédagogique. Mais je ne voulais pas d’une voix off avec un<br />
regard extérieur, des détails techniques sur le manque d’eau…<br />
Je n’ai pas les connaissances scientifiques des activistes ! J’ai<br />
préféré apporter ma sensibilité et la certitude que l’émotion et<br />
l’identification peuvent être des moteurs puissants dans la prise<br />
de conscience des problématiques environnementales.<br />
Pourquoi vous êtes-vous lancée dans une telle aventure ?<br />
Plus jeune, quand j’allais voir ma famille paternelle, dans<br />
la région de Gao, au Mali, j’atterrissais soit à Bamako, soit à<br />
Niamey, au Niger. Sur la route, les paysages se succédaient.<br />
En arrivant dans cette brousse clairsemée de végétation déterminée<br />
à être là, en voyant le fleuve Niger<br />
en or et ses bordures vertes, je savais que<br />
j’allais retrouver ma famille. Je la voyais<br />
peu, car mon papa est parti très tôt. Quand<br />
je revenais, il y avait un énorme bouleversement<br />
: à travers eux, je voyais mon père,<br />
et inversement. Accepter de faire ce film,<br />
qui m’a été proposé par le producteur Yves<br />
Darondeau, c’était accepter de parler de<br />
l’adolescence, des femmes, de l’amour d’un<br />
père pour ses enfants… Dans Marcher sur<br />
l’eau, je raconte ce qu’est une famille dans<br />
le Sahel. Le lien filial, fraternel, la communauté,<br />
cela fait partie de mon vécu,<br />
de mon histoire, de mon identité. Quand<br />
j’ai su que les habitants de Tatiste étaient<br />
des Peuls, ça a en plus tilté très fort. Filmer<br />
ces femmes à fort caractère, à l’image<br />
de celles de ma famille, ça me plaisait<br />
beaucoup. Ma grand-mère paternelle était<br />
peule, je l’adorais.<br />
Bien que ce soit un documentaire, Marcher sur l’eau<br />
suit un fil narratif, on a l’impression de ne jamais<br />
quitter ses personnages, y compris dans les moments<br />
intimes… Comment êtes-vous parvenue à donner<br />
l’impression de ne rien rater ?<br />
J’avais une trame que j’ai à la fois suivie et trahie. Car la réalité<br />
est toujours plus riche que notre imagination. En un an, j’ai<br />
fait cinq voyages au Niger. Le Sahel n’est pas une zone anodine,<br />
il y avait des mesures de sécurité à respecter, des militaires et<br />
des policiers… Je ne pouvais donc pas rester en continu. Si, à<br />
chaque séjour, j’étais en immersion dans leur monde, accueillie<br />
à bras ouverts, il y a par conséquent des choses que je n’ai<br />
pas pu filmer. Comme le départ du père d’Houlaye. Je lui ai<br />
demandé, ainsi qu’à ses enfants, de me montrer comment cela<br />
Marcher sur l’eau sortira dans<br />
les salles françaises le 10 novembre.<br />
s’était passé. J’ai récupéré des informations : ce que contenait<br />
son sac, l’heure du départ… Quand on a filmé cette scène,<br />
ils n’ont pas joué la comédie, ils ont tout simplement revécu<br />
cette séparation.<br />
Quelle a été la réaction des habitants<br />
de Tatiste, durant et après le tournage ?<br />
Il me semble que l’expérience a été marquante pour tous. Y<br />
compris pour le doyen du village, qui est très fier du film et l’a<br />
beaucoup aimé. Avec Houlaye, on a énormément parlé. Pour<br />
cette jeune fille de 14 ans, il y a un avant et un après. Ce n’est<br />
pas tous les jours qu’on lui demande : « Quels sont tes rêves ?»<br />
Le regard de cette communauté comptait pour moi, et ils m’ont<br />
dit que c’était la première fois qu’ils se reconnaissaient dans<br />
un film. Il y a eu beaucoup de documentaires sur les Peuls,<br />
mais ils s’intéressaient surtout à leurs rites très spectaculaires,<br />
leurs coiffures, leurs maquillages, leurs habits, avec un regard<br />
appuyé sur ce que certains considèrent uniquement comme<br />
du folklore. D’autre part, en tant qu’outil<br />
cinématographique, il a pour vocation<br />
d’être un plaidoyer auprès du gouvernement<br />
et de la population sahélienne, je<br />
le mets au service de l’amélioration de sa<br />
condition de vie. Marcher sur l’eau sera<br />
montré dans l’Afrique francophone, et en<br />
particulier aux citadins de la région. Ces<br />
derniers ont beau être informés de cette<br />
lutte pour l’eau, ils ne se figurent pas pour<br />
autant cette lutte au quotidien.<br />
En parallèle du tournage, vous<br />
vous consacriez à celui de Regard<br />
noir. Comment avez-vous réussi<br />
à vous dédoubler ?<br />
Grâce à ma complicité avec ma coréalisatrice<br />
sur Regard noir, Isabelle Simeoni.<br />
De son côté, elle réalisait également un<br />
autre film, mais sur Basquiat ! Je parlais<br />
souvent avec elle de ce que je vivais au<br />
Niger. L’avantage de ne pas avoir de réseau sur place, c’est<br />
que l’on coupe très vite. Plus de WhatsApp ou d’Instagram,<br />
ce qui aide à se concentrer ! Ces deux projets ont été longs à<br />
mener, c’était des courses de fond où la fatigue fait partie du<br />
programme. Heureusement, j’ai un quotidien assez doux, une<br />
vie de famille harmonieuse, ce qui m’a aidée à tout concilier.<br />
Quels sentiments réveillent en vous la situation au Mali ?<br />
C’est une déchirure d’exil perpétuel car je ne sais pas quand<br />
je vais pouvoir retourner dans le nord, et y emmener mes<br />
enfants. Cet empêchement crée un énorme vide. Les questions<br />
de la scolarité, des droits des femmes, de la dignité humaine et<br />
des djihadistes vont marquer les habitants du pays ainsi que la<br />
diaspora malienne…<br />
Noire n’est pas mon métier a rencontré un très bel accueil<br />
critique et public. Est-ce qu’on vous en parle encore ?<br />
DR<br />
86 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>422</strong> – NOVEMBRE 2021