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SANTÉ<br />
Depuis la nuit des temps, le<br />
paludisme est l’ennemi sournois<br />
de l’homme sur le continent<br />
africain. L’Organisation<br />
mondiale de la santé (OMS)<br />
estime que cette parasitose<br />
affecte plus de 200 millions<br />
de personnes chaque année :<br />
219 millions en 2019, dont<br />
94 % en Afrique, avec 50 %<br />
dans seulement six pays : Nigeria (23 %), République démocratique<br />
du Congo (11 %), Tanzanie (5 %), Burkina Faso, Niger et<br />
Mozambique (chacun 4 %). Le paludisme peut être mortel pour<br />
les plus jeunes. Ainsi, sur les 409000 décès estimés en 2019, les<br />
deux tiers étaient des enfants de moins de 5 ans. Chez l’adulte,<br />
ses symptômes (fièvres, courbatures, céphalées…) indisposent<br />
le malade pendant plusieurs jours, et le rendent inapte à toute<br />
activité. Et les conséquences sont importantes : l’OMS, en 2018, a<br />
calculé que le continent perd chaque année environ 12 milliards<br />
de dollars en productivité, en investissements et en coûts pour<br />
les systèmes de santé ! Le parasite perturbant les échanges au<br />
niveau du placenta, l’organisation « estime que, chaque année,<br />
800000 enfants naissent avec un poids trop faible à cause du<br />
paludisme de leur mère ».<br />
Mais afin de le combattre, un vaccin va, pour la première<br />
fois, faire l’objet d’une campagne à grande échelle. Il s’agit du<br />
RTS,S, appelé également Mosquirix. Mis au point par Glaxo-<br />
SmithKline (GSK), il est testé depuis mai 2018 au Ghana, au<br />
Kenya et au Malawi, où 2,3 millions de doses ont été administrées<br />
à 800000 enfants. Le directeur de l’OMS, l’Éthiopien<br />
Tedros Adhanom Ghebreyesus, qualifie son futur déploiement<br />
d’« avancée historique ». Un enthousiasme tempéré par le docteur<br />
Badara Cissé, de l’Institut de recherche en santé de surveillance<br />
épidémiologique et de formation de Dakar, qui a commenté le<br />
8 octobre dernier dans la revue médicale Nature : « Je ne pense<br />
pas qu’un taux d’efficacité vaccinale de 30 % serait acceptable<br />
pour les Américains. » En effet, ce vaccin ne constitue pas une<br />
panacée, car il ne prévient qu’environ 70 % des cas graves.<br />
Quant à Nathalie Ernoult, chargée de campagne de Médecins<br />
sans frontières (MSF) pour l’accès aux médicaments essentiels,<br />
elle remarque : « Le résultat statistique est une baisse de 30 %<br />
des hospitalisations, ce qui n’est pas mirobolant. » Et on ignore<br />
encore combien d’années le Mosquirix conservera son efficacité…<br />
En outre, si le paludisme est partiellement immunisant<br />
(ses symptômes sont de moins en moins graves au fil des expositions),<br />
on constate que les émigrés, après plusieurs années passées<br />
en Europe, s’exposent à des formes beaucoup plus sévères<br />
à leur retour en Afrique. Cette efficacité limitée s’explique par<br />
la complexité de l’élaboration du RTS,S. Le parasite Plasmodium<br />
La « fièvre<br />
des marais » est<br />
connue depuis<br />
des millénaires,<br />
et était déjà<br />
endémique sous<br />
l’Empire romain.<br />
change en effet d’aspect une fois qu’il a pénétré – via une piqûre<br />
de moustique – dans le corps humain, ce qui rend difficile son<br />
identification par les défenses immunitaires. « Chaque espèce de<br />
Plasmodium comporte plus de 5 000 gènes, et donc une diversité<br />
de protéines bien supérieure à celle d’un virus ou d’une bactérie<br />
», soulignent Dominique Mazier et Olivier Silvie, chercheurs<br />
à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale<br />
(INSERM), dans un rapport de 2017.<br />
La recherche a donc longtemps tâtonné : les premiers tests<br />
ont débuté en 1987 ! Rappelons que l’histoire du combat de<br />
l’homme contre la malaria (autre nom du paludisme) est faite<br />
de malentendus : la « fièvre des marais » est connue depuis des<br />
millénaires – elle était déjà endémique sous l’Empire romain,<br />
comme l’ont démontré en 2016 des analyses ADN dans des<br />
ossuaires de l’Antiquité. Faute de meilleure explication, on en<br />
attribuait la cause au « mauvais air » des zones marécageuses,<br />
nauséabondes et fangeuses. Dans les années 1830, lors de la<br />
conquête de l’Algérie, cette mystérieuse « fièvre » avait décimé<br />
les troupes françaises et les premiers colons européens dans la<br />
plaine de la Mitidja. Les travaux du français Alphonse Laveran<br />
en Algérie en 1880, puis ceux du Britannique Ronald Ross (prix<br />
Nobel 1902) aux Indes permirent d’identifier le coupable et son<br />
vecteur : un parasite destructeur de globules rouges, le Plasmodium<br />
falsiparum, véhiculé d’un malade à l’autre par le moustique<br />
anophèle. La pénétration coloniale européenne dans l’intérieur<br />
du continent africain correspond, d’ailleurs, à la découverte des<br />
effets antipaludiques de la quinine…<br />
QUATRE DOSES NÉCESSAIRES<br />
Dans cette longue épopée, pour le moins laborieuse de la<br />
lutte antipaludique, l’élaboration d’un vaccin – même imparfait<br />
– pose donc un jalon notable. Nathalie Ernoult précise ainsi<br />
que MSF « soutient la recommandation de l’OMS ». Et ajoute :<br />
« Même si son efficacité n’est pas extraordinaire, cela peut avoir<br />
un impact dans une zone de grande prévalence du paludisme.<br />
C’est important, nous étions arrivés à une sorte de “plateau”. Ce<br />
50 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>422</strong> – NOVEMBRE 2021