LE JURISTE D'ENTREPRISE FACE AUX CONTENTIEUX - AFJE
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<strong>CONTENTIEUX</strong> | À l’aube des NTIC<br />
Contentieux et e-discovery<br />
Isabelle Hautot – France Télécom-Orange, Directeur juridique Expertise<br />
Internationale & Litiges Groupe, Contentieux général, Immobilier &<br />
Environnement – CCIAG Corporate Counsel Arbitration Group, Vice-Chair –<br />
Avocat au Barreau de Paris, honoraire<br />
Isabelle Hautot<br />
La discovery est la procédure<br />
américaine qui oblige les parties<br />
d’un contentieux naissant à se<br />
communiquer l’ensemble des pièces<br />
relatives au litige. Elle s’inspire de la<br />
procédure anglaise de disclosure dont<br />
elle est un avatar plus systématique.<br />
La e-discovery est cette même procédure,<br />
portant sur les pièces conservées<br />
électroniquement.<br />
Censée permettre l’inventaire exhaustif<br />
des faits de la cause, la discovery<br />
est un rouage essentiel au procès<br />
américain : chacune des parties évaluant<br />
d’entrée de jeu l’entièreté du<br />
dossier de l’adversaire peut décider<br />
en connaissance de cause, soit de<br />
poursuivre la voie contentieuse, soit de<br />
négocier une transaction. Processus<br />
tendant à l’émergence de la vérité –<br />
et qui, au sens d’un juriste américain,<br />
lui est indispensable – la discovery<br />
tend, pragmatiquement, à évaluer en<br />
amont les chances d’un procès : de<br />
fait, à l’éviter.<br />
Sa prétention à l’exhaustivité, son<br />
extension à l’ensemble de la docu-<br />
Juriste d’Entreprise Magazine N°11 – Novembre 2011<br />
mentation électronique et au recueil<br />
de témoignages oraux, ont cependant<br />
fait de la discovery un processus disproportionné.<br />
La masse des pièces<br />
concernées, la question de leur intégrité,<br />
les difficultés techniques d’extraction<br />
engendrées, les interviews de<br />
dirigeants, ont transformé cette phase<br />
réputée préliminaire en un processus<br />
paralysant et ruineux, qui fonctionne<br />
à rebours de son ambition d’origine :<br />
ce qui était le moyen de cerner une<br />
vérité factuelle est devenu lui-même la<br />
menace essentielle et, pour un demandeur<br />
souvent en situation d’imposer<br />
ses vues quant au périmètre d’investigation,<br />
un moyen de pression très<br />
étranger aux exigences de justice.<br />
Menée à l’encontre d’une entreprise<br />
française, les effets d’une discovery<br />
sont encore aggravés par le fait que<br />
les avis et conseils des juristes internes<br />
sont, à quelques exceptions près,<br />
divulgables au même titre que n’importe<br />
quel autre élément de preuve,<br />
les juristes étant, faute de statut, dans<br />
l’incapacité de revendiquer une quelconque<br />
forme de confidentialité, soit<br />
du contenu de leurs écrits (à l’instar<br />
du legal privilege qui protège les documents<br />
émis par un avocat américain,<br />
quelque soit son mode d’exercice)<br />
soit tenant à la nature de leur mission<br />
(à l’instar du secret professionnel qui<br />
pèse sur les avocats français).<br />
Ainsi ne reste-t-il pas grand-chose de<br />
ses visées originelles d’efficacité à une<br />
technique devenue un monstre procédural<br />
qu’une entreprise s’expose à<br />
« Menée à l’encontre d’une entreprise<br />
française, les effets d’une discovery sont<br />
encore aggravés par le fait que les avis et<br />
conseils des juristes internes sont, à quelques<br />
exceptions près, divulgables au même titre que<br />
n’importe quel autre élément de preuve. »<br />
affronter dans toute procédure commerciale<br />
ou d’enquête où s’appliquerait<br />
la loi américaine.<br />
La société FTSA n’a eu à affronter une<br />
discovery qu’un nombre de fois limité.<br />
La première expérience remonte à<br />
1995 : tentative d’ouvrir un volet américain<br />
dans un contentieux commercial<br />
franco-français dont étaient déjà saisies<br />
les juridictions françaises. Aussi<br />
ténus qu’aient été les liens allégués<br />
avec le sol américain, le juge ne s’était<br />
alors déclaré incompétent qu’après<br />
une première phase de discovery qui,<br />
quoique dite dans ce cas « limitée »<br />
(aux vérifications de la compétence<br />
territoriale), avait exigé deux ans d’investigations<br />
avant un jugement favo-