Télécharger la revue en format "pdf". - UQAM

Sida et sexualité dans la fiction romanesque
ANALYSE
111
Tout comme la syphilis à son époque, le sida est nettement associé à
la modernité, et ce à plusieurs niveaux. La notion de moderité ou de
nouveauté est accolée à un référent épidémique plus ancien ayant
marqué la conscience occidentale: la peste joue surtout ce rôle. Dans
notre corpus, le sida est dénommé « la nouvelle peste » (Fernandez,
1988, p. 75), « la peste modere » (Hocquenghem, 1989, p. 140), « cette
peste de fin de siècle » (Navarre, 1991, p. 12), « version modere de la
peste» (Luria, 1985, p. 73). Le corpus ne fait nullement mention
directe de la syphilis comme référent généalogique. La non-létalité de
la syphilis dans l'imaginaire social contemporain, son association
avec la prostitution et l'hétérosexualité peuvent expliquer cette
absence. En second lieu, le sida est associé étroitement aux
mécanismes de circulation socioculturels et sexuels. L'Afrique qui,
dans la pensée occidentale, est associée à l'instinctif, au primaire ainsi
qu'au sexe, a une place privilégiée dans l'étiologie supposée de la
maladie, comme ce fut déjà le cas pour la syphilis (Wald Lasowski,
1982; Bibeau, 1991). Quelques romans y font référence en amplifiant
toutefois la dimension fantasmatique par la liaison établie avec la
sorcellerie et le maléfique dont les anthropologues ont montré
l'importance dans les modèles médicaux africains ou modernes
(Fainzang, 1989). À une régression psychologique individuelle
provoquée par la maladie s'ajoute une régression phylogénétique
d'ordre fantasmatique liée au continent noir, qui insiste en particulier
sur l'origine simiesque de la transmission du virus:
[ . ..] J'ai vécu en Afrique et nous connaissions depuis longtemps le sida
même si nous ne l'appelions pas ainsi, nous savions que les singes
étaient un réservoir de virus et que certaines espèces comme le singe vert
y étaient particulièrement sensibles. (De Mellis, 1988, p. 18-19)
Muzil, ignorant la teneur de ce qui le rongeait, l'avait dit sur son lit
d'hôpital, avant que les savants le découvrent: « C'est un machin qui
doit nous venir d'Afrique. » Le Sida, qui a transité par le sang des singes
verts, est une maladie de sorciers, d'envoûteurs. » (Guibert, 1990, p. 17;
voir aussi Chapsal, 1988, p. 11)
L'accusation qui, à la Renaissance, attribuait aux marins la
transmission de la syphilis connaît un nouvel avatar lié aux
développement des échanges internationaux. Le développement du
tourisme et ses corollaires sexuels, la réputation de libertinage des
équipages d'avion aisi que leur mobilité intercontinentale extrême