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120 Revue sexologique / Sexological Review
figure de la prostituée laisse place à celle de l'homosexuel comme
vecteur dominant de transmission épidémique. Ce n'est plus le sexe
féminin qui est « malsain par essence, gouffre de perdition, foyer de
corruption» (Wald Lasowski, 1982, p. 155), mais les pratiques
homosexuelles associées, tout comme la prostitution, à la
promiscuité, référence centrale dans la construction socioculturelle du
sida.
Comme le soulignent Clatts et Mutchler (1989, p. 17), la promiscuité
devient alors une « métaphore symboliquement explosive de
l'antisociabilité devenue folle» et sur laquelle se greffe tout un
ensemble de référents (vice, perversion, déviance sociale). Le sida ne
fixe plus l'attention sur la sexualité féminine, davantage socialisée et
intégrée dans le monde contemporain qu'elle ne l'était au XIxe siècle,
mais sur l'homosexualité qui, dans les représentations sociales et
biomédicales, reste encore déviante, source de désordre et de
contagion. S'il est vrai que le sida introduit dans le rapport à
l'érotisme, comme la syphilis, des aspects perturbateurs qui se
manifestent par une obsession face à la sexualité et par une évaluation
relative des risques, il ne provoque pas, contrairement à la syphilis
(du moins au XIxe siècle), une fascination quant à la crainte de la
contamination qui jouerait dans le sens d'un aiguisement ou d'un
renouvellement du désir.
Loin d'être un excitant, le sida affecte négativement le rapport à la
jouissance en remettant en cause les acquis d'une sexualité
récemment libérée de nombreux interdits. Cette épidémie contribue
donc à un recul de l'autonomie sexuelle (dans le choix tant des
partenaires que des pratiques) et du plaisir qui en dérive, obligeant à
une gestion complexe de la vie érotique. Les pratiques préventives,
nées des impératifs sécuritaires, souvent difficiles à adopter,
interviennent sur la spontanéité de la relation érotique, thématique
moins présente dans la littérature sur la syphilis. Le corps soumis· à
une réorganisation érogène s'éloigne du référent génital et l'usage du
préservatif accentue la distance sexuelle. Celle-ci peut être encore
amplifiée par le recours aux moyens de communication modernes qui
cérébralisent profondément la sexualité.
Au lieu de favoriser « l'étreinte absolue» (Wald Lasowski, 1982,
p. 156) comme la syphilis, le sida mène à une disjonction érotique qui
en court-circuite les dimensions sensuelles. Ces contrastes peuvent
s'expliquer par plusieurs facteurs. Comme le note Wald Lasowski, la
moindre fascination à l'égard de la syphilis au xxe siècle correspond à
une transformation de la sensibilité érotique en rupture avec