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Enoncé Théorique de TPM - Pierre Cauderay.pdf - EPFL

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La Tour <strong>de</strong> Babel<br />

« Qu’est <strong>de</strong>venu la Tour <strong>de</strong> Babel ? Rabbi Yo’hanan a dit : « quant à la tour,<br />

un tiers a été brûlé ; un tiers s’est enfoncé ; un tiers existe encore ». Rab Yosseph<br />

a dit : « le seul fait <strong>de</strong> se trouver dans l’environnement <strong>de</strong> la tour fait perdre<br />

la mémoire ». »<br />

La Tour <strong>de</strong> Babel, « Variation 5 »<br />

Aujourd’hui, les archéologues préten<strong>de</strong>nt avoir retrouvé cette tour dans<br />

les décombres <strong>de</strong> la ville <strong>de</strong> Babylone. Il s’agit d’une ziggurat, sorte <strong>de</strong> tour<br />

composée <strong>de</strong> multiples socles <strong>de</strong> tailles décroissantes, empilés les uns sur<br />

les autres, construits <strong>de</strong> briques <strong>de</strong> terre crue et cuite ; et au sommet duquel<br />

est édifié un temple dédié à un dieu. Babylone a la réputation d’avoir abrité<br />

la plus haute ziggurat jamais construite ; sept étages, qui <strong>de</strong>vait flirter avec<br />

les 0 mètres d’altitu<strong>de</strong>. L’archéologue André Parrot, dans La Tour <strong>de</strong> Babel<br />

( 4), proclame que « nous la considérons, avant tout, comme une main<br />

tendue vers le ciel, comme un appel à l’ai<strong>de</strong>. »<br />

Mais bien avant sa redécouverte par l’archéologie, cette construction<br />

mythique est <strong>de</strong>venue le symbole <strong>de</strong> l’échec <strong>de</strong> l’orgueil <strong>de</strong>s hommes. On le<br />

doit entre autre à la parabole biblique, dans le livre <strong>de</strong> la Genèse :<br />

« Tout le mon<strong>de</strong> parlait alors la même langue et se servait <strong>de</strong>s mêmes mots.<br />

Partis <strong>de</strong> l’est, les hommes trouvèrent une large vallée en Basse-Mésopotamie<br />

et s’y installèrent. Ils se dirent les uns aux autres : « Allons ! Au travail pour<br />

mouler <strong>de</strong>s briques et les cuire au four ! » Ils utilisèrent les briques comme<br />

pierres <strong>de</strong> construction et l’asphalte comme mortier. Puis ils se dirent : « Allons<br />

! Au travail pour bâtir une ville, avec une tour dont le sommet touche au<br />

ciel ! Ainsi nous <strong>de</strong>viendrons célèbres, et nous éviterons d’être dispersés sur<br />

toute la surface <strong>de</strong> la terre. »<br />

Le Seigneur <strong>de</strong>scendit du ciel pour voir la ville et la tour que les hommes bâtissaient.<br />

Après quoi il se dit : « Eh bien, les voilà tous qui forment un peuple<br />

unique et parlent la même langue ! S’ils commencent ainsi, rien désormais ne<br />

les empêchera <strong>de</strong> réaliser tout ce qu’ils projettent. Allons ! Descendons mettre<br />

La « petite » Tour <strong>de</strong> Babel, Pieter Brueghel ( 6 )<br />

le désordre dans leur langage, et empêchons-les <strong>de</strong> se comprendre les uns les<br />

autres. » Le Seigneur les dispersa <strong>de</strong> là sur l’ensemble <strong>de</strong> la terre, et ils durent<br />

abandonner la construction <strong>de</strong> la ville. Voilà pourquoi celle-ci porte le nom<br />

<strong>de</strong> Babel. C’est là en effet que le Seigneur a mis le désordre dans le langage<br />

<strong>de</strong>s hommes, et c’est à partir <strong>de</strong> là qu’il a dispersé les humains sur la terre<br />

entière. »<br />

La Bible en français courant, livre <strong>de</strong> la Genèse, Chapitre , versets - .<br />

Lorsque les théologiens s’expriment au sujet <strong>de</strong> Babel, voici ce que l’on peut<br />

lire: « La Tour <strong>de</strong> Babel est le type même du péché qui pousse l’homme non<br />

pas à se passer <strong>de</strong> Dieu mais à chercher à se faire un nom (c’est-à-dire à se<br />

rassurer contre le <strong>de</strong>stin) au moyen d’une entreprise religieuse bien comprise<br />

qui fasse du Dieu du ciel un voisin fixé sur la terre. », J. S. Javet, dans Le<br />

Christianisme au XXème siècle ( 42). Un autre théologien dénonce « le<br />

subtil paganisme qui habite dans toute âme, même religieuse, qui veut à tout<br />

prix monter vers le ciel pour forcer la divinité à <strong>de</strong>scendre. » « Car l’homme<br />

ne monte vers Dieu, que sur un ordre exprès, comme Moïse sur le Sinaï et<br />

il ne le fait qu’en tremblant. Jahvé, pour <strong>de</strong>scendre sur terre n’a pas besoin<br />

que les hommes lui construisent ses voies d’accès », E. Jacob, dans la Revue<br />

d’Histoire et <strong>de</strong> Philosophie religieuse ( 0).<br />

Les non-théologiens, quant à eux, interprètent également le mythe <strong>de</strong> la<br />

construction collective. Dans L’avenir d’une illusion, Freud évoque sous le<br />

nom d’instrumentalisation politique <strong>de</strong> la religion, le récit <strong>de</strong> la Tour <strong>de</strong><br />

Babel : « Sans l’accord <strong>de</strong> Dieu, sans son aval et son soutien, les hommes<br />

ne s’enten<strong>de</strong>nt pas et leur coopération est vouée à l’échec! ». J.-P. Sartre<br />

souligne lui, dans la Critique <strong>de</strong> la Raison dialectique, la fragilité <strong>de</strong> l’union<br />

dès qu’elle est vécue comme un événement purement humain. Il remarque<br />

ainsi que la structure du groupe en fusion est inéluctablement pervertie par<br />

le phénomène <strong>de</strong> pratico inertie par lequel chaque individu cesse <strong>de</strong> faire<br />

corps avec la collectivité et retourne à ses intérêts privés.<br />

La Tour <strong>de</strong> Babel constitue donc le symbole <strong>de</strong> l’échec et <strong>de</strong> l’orgueil <strong>de</strong>s<br />

hommes. Mais pour Hegel, elle est aussi celui <strong>de</strong> l’esthétique. Devrionsnous<br />

penser que pour Hegel l’esthétique est un projet vain? Quoiqu’il en<br />

soit même si cette tour sacrée est à la fois l’union et le but <strong>de</strong> cette union,<br />

et même si sa fin est intérieure à elle-même, elle en possè<strong>de</strong> une. Sa finitu<strong>de</strong><br />

est même absolue, puisqu’elle rési<strong>de</strong> en elle-même. Or ce qui dépasse<br />

l’ordre <strong>de</strong> la réalité admise n’en a pas. Tenter d’atteindre l’immatériel<br />

par le matériel, c’est comme chercher à atteindre zéro en divisant un nombre<br />

positif autant <strong>de</strong> fois qu’on le peut. Les hommes <strong>de</strong> Babel en ont fait<br />

l’expérience.<br />

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