Enoncé Théorique de TPM - Pierre Cauderay.pdf - EPFL
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déjà, la théorie du marketing tente <strong>de</strong> nous persua<strong>de</strong>r que sept secon<strong>de</strong>s est<br />
la durée maximum d’un message écoutable et audible pour la masse <strong>de</strong>s<br />
téléspectateurs. […]<br />
Plus le temps se contracte, plus il <strong>de</strong>vient mondial. Plus l’histoire se réduit au<br />
point du présent, plus elle <strong>de</strong>vient contemporaine. Plus le temps est comprimé,<br />
plus la compétition s’aiguise, plus le temps <strong>de</strong>vient l’atout stratégique par excellence,<br />
et le fantôme introuvable <strong>de</strong> notre mo<strong>de</strong>rnité tardive. […]<br />
A la tyrannie <strong>de</strong> l’immédiateté, qui sert d’excuse au «après moi, le déluge»<br />
<strong>de</strong>s princes, répond la tyrannie <strong>de</strong> l’urgence. Celle-ci s’accompagne <strong>de</strong><br />
l’effacement accéléré <strong>de</strong>s références à l’idée <strong>de</strong> projet collectif. Nous ne parvenons<br />
plus à nous projeter dans une perspective du temps long. De ce point<br />
<strong>de</strong> vue, l’urgence déstructure le temps et délégitime l’utopie. Le temps semble<br />
aboli par l’instant. Partout l’homme d’aujourd’hui s’arroge <strong>de</strong>s droits sur<br />
l’homme <strong>de</strong> <strong>de</strong>main, menaçant son bien-être, son équilibre et, parfois, sa vie.<br />
[…]<br />
Mais il faut aller plus loin : si nous n’agissons pas à temps, les générations<br />
futures n’auront pas le temps d’agir du tout : elles risqueront d’être prisonnières<br />
d’évolutions <strong>de</strong>venues incontrôlables, telles que la croissance démographique,<br />
la dégradation <strong>de</strong> l’environnement global, ou les disparités entre<br />
Nord et Sud et, au sein même <strong>de</strong>s sociétés, l’apartheid social et l’emprise mafieuse<br />
qui gagne. […]<br />
Dès lors, il n’y a pas lieu d’opposer solidarité vis-à-vis <strong>de</strong>s générations<br />
présentes et solidarité vis-à-vis <strong>de</strong>s générations futures. La générosité ne se<br />
divise pas. Le peu <strong>de</strong> cas fait <strong>de</strong>s exclus du tiers-mon<strong>de</strong> et du quart-mon<strong>de</strong><br />
est l’avers <strong>de</strong> la pièce <strong>de</strong> monnaie, l’oubli <strong>de</strong>s générations futures son envers.<br />
L’éthique du futur est fondamentalement une éthique du temps qui réhabilite<br />
le futur, mais aussi le présent et le passé.<br />
Si nous voulons modifier radicalement notre rapport au temps en ce début<br />
du XXIe siècle, il nous faudra redécouvrir une sagesse ancienne : habiter le<br />
temps, et, comme nous y invitait Marcel Proust, savoir retrouver le temps<br />
perdu... »<br />
La contraction du temps et <strong>de</strong> l’espace, la tyrannie <strong>de</strong> l’urgence mettent en<br />
crise notre rapport au temps. A tel point, qu’il semblerait que le temps s’est<br />
arrêté, tant la solidarité semble s’amenuiser entre les hommes d’aujourd’hui<br />
et les générations futures.<br />
Sur le même thème <strong>de</strong> l’accélération, Boris Groys écrit en , La vitesse<br />
<strong>de</strong> l’art :<br />
« L’art <strong>de</strong> notre siècle a atteint une vitesse insoupçonnée jusqu’à lui. Je ne<br />
veux pas parler <strong>de</strong> la reproduction <strong>de</strong> la vitesse, dont se sont préoccupés les<br />
futuristes par exemple, mais <strong>de</strong> la rapidité <strong>de</strong> la production artistique ellemême.<br />
L’invention du ready-ma<strong>de</strong> par Duchamp a accru cette vitesse <strong>de</strong> production<br />
à l’extrême : il suffit <strong>de</strong> nos jours qu’un artiste s’arrête sur n’importe<br />
quel fragment du réel et lui attribue un titre pour que ce fragment <strong>de</strong>vienne<br />
<strong>de</strong> fait une œuvre d’art. La production artistique approche ici la vitesse <strong>de</strong><br />
la lumière. Avec la fission nucléaire, le ready-ma<strong>de</strong> est probablement, sous<br />
l’angle <strong>de</strong> la vitesse atteinte, le plus grand acquis technique <strong>de</strong> ce siècle. Cette<br />
accélération assure aux arts visuels <strong>de</strong> notre temps une certaine avance culturelle,<br />
manifeste dès que l’on compare, par exemple, la vitesse <strong>de</strong> production<br />
d’une image à celle <strong>de</strong> la production d’un texte.<br />
Cependant, tout comme on ne souhaite guère faire usage <strong>de</strong> la fission nucléaire,<br />
cette vitesse <strong>de</strong> l’art est aussi perçue comme un risque, qu’il faut<br />
freiner. Après l’accélération du début <strong>de</strong> ce siècle, l’histoire <strong>de</strong>s arts est celle<br />
<strong>de</strong> leur ralentissement. Le frein le plus efficace dans ce domaine est celui du<br />
critère mo<strong>de</strong>rne <strong>de</strong> la nouveauté. Dans la masse <strong>de</strong> ce qu’on peut décréter<br />
comme <strong>de</strong> l’art, tout n’est pas accepté comme tel. On attend du regard artistique<br />
qu’il fasse découvrir du neuf, c’est-à-dire quelque chose qui n’existe pas<br />
encore dans les archives réellement existantes <strong>de</strong> l’art. Comme ces archives<br />
ne cessent <strong>de</strong> s’amonceler et que le public n’est pas toujours assez ouvert pour<br />
accepter telle ou telle nuance du déjà vu comme une nouveauté, la production<br />
artistique est continuellement freinée par l’exigence <strong>de</strong> créer du nouveau.<br />
Cette économie <strong>de</strong> l’innovation entrave une croissance exponentielle<br />
<strong>de</strong> l’art. Le besoin <strong>de</strong> nouveauté ne favorise donc nullement l’accélération <strong>de</strong><br />
l’art, mais contribue au contraire à le ralentir. La majorité <strong>de</strong> ce qui est produit<br />
en art – ou plus exactement qualifié comme tel – <strong>de</strong>vient, confronté<br />
aux archives existantes, une redondance, une tautologie superflue, qu’on<br />
préfère rejeter. L’art n’en est pas toujours responsable. Sa vitesse, proche <strong>de</strong><br />
celle <strong>de</strong> la lumière, est simplement trop rapi<strong>de</strong> pour que le mon<strong>de</strong> extérieur<br />
puisse enregistrer toutes ses innovations comme telles. Le public n’y perçoit<br />
que <strong>de</strong>s dérivés, <strong>de</strong>s sous-produits <strong>de</strong> l’innovation rapi<strong>de</strong>, trop insignifiants et<br />
dérisoires, voire même trop peu novateurs, et les rejette. Il est donc conseillé<br />
aux artistes <strong>de</strong> se freiner eux-mêmes et <strong>de</strong> synchroniser la vitesse <strong>de</strong> leur art<br />
avec le rythme <strong>de</strong> la vie extérieure, ce qui leur permettra d’être mieux perçus<br />
et « suivis » par les autres. »<br />
Selon Clément Rosset, « L’art est le double inutile du réel ». Sa vitesse est<br />
donc représentative <strong>de</strong> celle <strong>de</strong> son double. Si la vitesse <strong>de</strong> l’art a explosé ces<br />
<strong>de</strong>rnières années, c’est que celle du réel a explosé. Mais cela nous ai<strong>de</strong>-t-il à<br />
nous projeter dans la nécessaire perspective du temps long ?