Enoncé Théorique de TPM - Pierre Cauderay.pdf - EPFL
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mais l’ensemble <strong>de</strong>s religions et confessions <strong>de</strong> manière diverse, dans toutes<br />
les sociétés développées. Comme si la mo<strong>de</strong>rnité chassait inéluctablement les<br />
gran<strong>de</strong>s religions traditionnelles. […]<br />
« Ce qui est intéressant à observer, c’est que les instruments du désenchantement<br />
- le politique, la raison critique, la science - sont eux-mêmes désenchantés,<br />
explique Frédéric Lenoir. Et les gran<strong>de</strong>s questions philosophiques<br />
sur le sens <strong>de</strong> la vie reviennent en force après la double perte <strong>de</strong> crédibilité<br />
<strong>de</strong>s religions historiques et <strong>de</strong>s idéologies politiques ou scientistes, issues du<br />
mythe mo<strong>de</strong>rne du progrès, qui leur avait succédé. »<br />
On assiste en effet, <strong>de</strong> manière croissante <strong>de</strong>puis une trentaine d’années, non<br />
plus seulement à une crise <strong>de</strong>s institutions religieuses mais à une crise <strong>de</strong>s<br />
institutions en général. Celle-ci s’apparente à une remise en cause <strong>de</strong> toute<br />
forme dogmatique d’autorité. « Nos contemporains refusent les dogmes. Et<br />
ce rejet est manifeste dans toutes les sociétés <strong>de</strong> type européen. Dès qu’un<br />
pays entre dans la mo<strong>de</strong>rnité, il y a distanciation <strong>de</strong> sa population à l’égard<br />
<strong>de</strong>s vérités énoncées, explique Jacques Maître. Autrement dit, le phénomène<br />
auquel on assiste à présent n’est pas seulement une crise <strong>de</strong> la religion, mais<br />
une crise concernant tous les systèmes d’orthodoxie et leur crédibilité. »<br />
Même analyse <strong>de</strong> la part du politologue Roland Cayrol. Pour lui, l’air du<br />
temps est celui <strong>de</strong> la méfiance systématique à l’égard <strong>de</strong> tout émetteur <strong>de</strong><br />
discours. « Plus personne n’adhère à la moindre idée globalisante. Il y a un<br />
rejet incroyable <strong>de</strong> tous les mots en isme : socialisme, capitalisme, communisme,<br />
libéralisme... Toutes ces idéologies ont commencé à basculer il y a dix<br />
ans, et ça s’accentue à l’heure actuelle, résume-t-il. En France, jusqu’au début<br />
<strong>de</strong>s années 80, on croyait encore qu’on pouvait changer la vie en changeant<br />
<strong>de</strong> politique. C’est fini. Les changements <strong>de</strong> cap et les déceptions ont été trop<br />
nombreux. » »<br />
Le déclin est donc très marqué, et il touche toutes les sociétés développées,<br />
comme si la mo<strong>de</strong>rnité chassait les gran<strong>de</strong>s religions traditionnelles. Mais<br />
pas seulement, car le phénomène est accompagné d’une perte <strong>de</strong> confiance<br />
dans toutes les institutions dont le rôle <strong>de</strong> donneur <strong>de</strong> sens avait été vu par<br />
<strong>de</strong> nombreux penseurs <strong>de</strong> la mo<strong>de</strong>rnité. La tendance est à une société <strong>de</strong><br />
responsabilité <strong>de</strong> soi et aux valeurs individuelles.<br />
« Cette tension permanente entre «l’indépendance choisie et l’insécurité<br />
subie» marquera toute cette fin <strong>de</strong> XXe siècle. Elle a eu pour conséquence<br />
l’avènement d’ «une société <strong>de</strong> responsabilité <strong>de</strong> soi» où chacun se retrouve<br />
sommé d’élire ses propres valeurs avec toutes les difficultés, les tâtonnements<br />
et les dérives que cela suppose.<br />
« Nous sommes entrés dans l’ère <strong>de</strong> la dérégulation du «marché <strong>de</strong>s biens<br />
du salut». L’Eglise catholique a perdu la situation <strong>de</strong> monopole écrasant<br />
qu’elle détenait autrefois, elle ne contrôle plus grand-chose puisqu’il n’y a<br />
plus d’appareil ecclésiastique, souligne encore le sociologue Jacques Maître.<br />
Il fleurit du coup toutes sortes <strong>de</strong> phénomènes qu’on prend pour un regain <strong>de</strong><br />
religieux, mais ce n’est pas mon opinion. Nous sommes plutôt dans un supermarché<br />
du religieux, où chacun choisit ce qui lui plaît. »<br />
L’un sélectionnera ainsi la réincarnation, le <strong>de</strong>uxième choisira <strong>de</strong> croire aux<br />
anges (valeur à la hausse), le troisième rejettera l’enfer (notion presque totalement<br />
dévalorisée, remplacée par <strong>de</strong>s damnations estimées plus crédibles, telles<br />
que l’Holocauste, une guerre nucléaire ou encore un désastre écologique).<br />
La télépathie, les rêves prémonitoires et l’astrologie trouvent également leur<br />
place dans ce bric-à-brac du religieux, car les croyances parallèles se mêlent<br />
<strong>de</strong> plus en plus aux croyances chrétiennes, chez les jeunes surtout - y compris<br />
parmi les pratiquants. Peu importe que le surnaturel prenne la place du<br />
divin, peu importe la cohérence et le dieu auquel on se livre : ce que chacun<br />
recherche, c’est ce qui lui fait du bien. Pour Jacques Maître, même la prière<br />
n’échappe pas à cette tendance. « Quand vous interrogez ceux qui prient<br />
encore et que vous leur <strong>de</strong>man<strong>de</strong>z pourquoi ils le font, ils vous répon<strong>de</strong>nt : »<br />
Parce que ça me fait du bien, parce que ça m’ai<strong>de</strong> à vivre ! « L’effet subjectif<br />
<strong>de</strong> la prière est donc <strong>de</strong>venu le motif <strong>de</strong> la prière. »<br />
Sommes-nous en présence d’une crise <strong>de</strong> la rationalité ? Pas vraiment, car<br />
la science n’est pas remise en question. « Dans l’esprit <strong>de</strong>s gens, tout est conciliable.<br />
La science reste un critère, mais on la voudrait «enchantée». On lui<br />
reproche <strong>de</strong> ne pas aller assez loin, explique Guy Michelat du Centre d’étu<strong>de</strong><br />
<strong>de</strong> la vie politique française. C’est d’ailleurs très significatif d’entendre dire,<br />
à propos <strong>de</strong>s phénomènes inexpliqués : «La science expliquera tout cela un<br />
jour». » »<br />
Désormais, tout le mon<strong>de</strong> est à la même enseigne, la plupart <strong>de</strong>s gens<br />
bâtissent leur propre système <strong>de</strong> sens comme ils l’enten<strong>de</strong>nt, à partir <strong>de</strong><br />
l’ensemble <strong>de</strong>s références existantes. Au sujet <strong>de</strong> la science, Jacques Testart,<br />
biologiste directeur <strong>de</strong> recherche à l’Inserm, explique en 200 dans Une foi<br />
aveugle dans le progrès scientifique, la notion <strong>de</strong> scientisme, qui est le nom<br />
donné à une forme <strong>de</strong> raisonnement non scientifique, mais couramment<br />
utilisé lorsqu’il faut justifier l’utilisation <strong>de</strong> la science :<br />
« Les pouvoirs politiques européens ont choisi <strong>de</strong> reconnaître dans la science<br />
la source privilégiée <strong>de</strong>s vérités et <strong>de</strong>s richesses. Mais il n’en découle pas automatiquement<br />
que la science soit <strong>de</strong>venue neutre et universelle. En témoigne<br />
la rigidité dont les notables <strong>de</strong> l’institution scientifique ont fait preuve, ces