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Enoncé Théorique de TPM - Pierre Cauderay.pdf - EPFL

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affectif (« l’inconscient n’a pas d’histoire »), ou psychologique. Il serait<br />

facile <strong>de</strong> montrer qu’elle n’en a pas plus dans l’ordre politique (les guerres<br />

du XXe sont plus sauvages et meurtrières que celles du XIXe, qui l’étaient<br />

déjà beaucoup plus que celles du XVIIIe, etc.). Dans l’outillage technique<br />

et scientifique, pour la maîtrise <strong>de</strong>s choses (ou <strong>de</strong> l’homme en tant que chose,<br />

dans la mé<strong>de</strong>cine) il y a un avant et un après objectifs et vérifiables ; dans les<br />

formes <strong>de</strong> domination <strong>de</strong> l’homme sur l’homme, il n’y a d’avant et d’après que<br />

subjectifs et réversibles.<br />

Bien entendu, le rapport <strong>de</strong> l’homme à l’homme est médié par <strong>de</strong>s choses, et<br />

le rapport <strong>de</strong> l’homme aux choses est médié par d’autres hommes. La distinction<br />

catégoriale <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux temps n’empêche donc pas le jeu complexe <strong>de</strong>s<br />

interactions à chaque moment <strong>de</strong> l’histoire. Ce n’est pas ici le lieu <strong>de</strong> proposer<br />

<strong>de</strong>s modèles d’intelligibilité pour comprendre comment s’articulent le temps<br />

mobile et le temps immobile dans la vie <strong>de</strong>s sociétés.<br />

Contentons-nous <strong>de</strong> remarquer que tous les nobles partisans du progrès<br />

qui ont <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>ux siècles plaqué le temps technique sur le temps politique<br />

se sont systématiquement trompés dans leurs prévisions. Ils ont<br />

annoncé, outre la paix internationale grâce aux chemins <strong>de</strong> fer, l’harmonie<br />

sociale par l’électricité et la fin <strong>de</strong>s superstitions religieuses par le biais <strong>de</strong><br />

l’éducation populaire, l’uniformisation <strong>de</strong>s cultures et <strong>de</strong>s religions dans la<br />

foulée <strong>de</strong> l’uniformisation <strong>de</strong>s objets techniques. […]<br />

Admirons en tout cas la sagacité infiniment supérieure <strong>de</strong> la mythologie<br />

grecque sur nos mythologies économiques du jour. On se souvient que dans<br />

le mythe <strong>de</strong> Protagoras, Zeus concè<strong>de</strong> à l’espèce l’humaine, via Prométhée, le<br />

savoir-faire technique ou « technè » tout en se félicitant d’avoir retenu par<br />

<strong>de</strong>vers lui, hors d’atteinte, « l’art d’administrer la cité » ou la sagesse. Cette<br />

petite réserve, les Lumières l’avaient oubliée.<br />

Le « fait », vérifiable expérimentalement, du progrès scientifique et technique,<br />

est <strong>de</strong>venu mythe en se transportant indûment dans l’ordre symbolique<br />

et politique, où il est expérimentalement falsifiable. Ce transport ou cette<br />

métaphore ont été induits, par la rencontre tardive du messianisme religieux<br />

et du machinisme industriel, […] Ce précipité chimique s’est opéré à la fin du<br />

siècle <strong>de</strong>s Lumières, en France et en Angleterre. […] Et le XIXe a étendu la<br />

nouvelle religion à la terre entière, au fur et à mesure <strong>de</strong> l’expansion occi<strong>de</strong>ntale,<br />

qui fut naturellement tout à la fois militaire, politique, économique et<br />

« mythologique ». »<br />

L’amalgame dont parle Régis Debray entre la notion <strong>de</strong> Progrès et celle<br />

d’ordre spirituelle rappelle les Antinomies <strong>de</strong> la raison pure d’Emmanuel<br />

Kant. Les Antinomies sont <strong>de</strong>s contradictions dans lesquelles la raison pure,<br />

lorsqu’elle s’efforce d’atteindre <strong>de</strong>s vérités métaphysiques, s’enferre nécessairement.<br />

Elle se trouve acculée à quatre antinomies. Quatre couples <strong>de</strong><br />

thèse – antithèse qui concernent l’univers dans sa totalité et que la philosophie<br />

discute <strong>de</strong>puis ses débuts. Kant montre qu’il est possible <strong>de</strong> démontrer<br />

– ou <strong>de</strong> réfuter – aussi bien la thèse que l’antithèse. Comment cela se peutil?<br />

Le philosophe <strong>de</strong>s Lumières montre qu’il s’agit d’une confusion entre ce<br />

qu’il nomme phénomène et ce qu’il nomme Idée a priori. Le phénomène<br />

relève <strong>de</strong> l’expérience, c’est quelque chose qui apparaît à notre sensibilité.<br />

L’Idée a priori se trouve dans l’esprit avant toute expérience, elle relève <strong>de</strong> la<br />

raison pure. Confondre l’un et l’autre produit un raisonnement impossible.<br />

Le mon<strong>de</strong> ne peut pas être considéré à la foi comme une Idée et comme un<br />

phénomène.<br />

Le discours <strong>de</strong> Régis Debray renvoie au même principe <strong>de</strong> contradiction:<br />

selon lui, la logique <strong>de</strong> Progrès est d’un autre ordre que celle du politicosymbolique.<br />

Son temps est différent, pour autant qu’on puisse dire qu’il en<br />

ont un l’un et l’autre. L’amalgame produit une confusion qui est à l’origine<br />

d’une disparition <strong>de</strong>s principes collectifs dans notre société. Principes qui<br />

sont pourtant une valeur absolue <strong>de</strong> la collectivité. Et qui lorsqu’on les ignore,<br />

mettent en crise le groupe et génèrent <strong>de</strong>s processus <strong>de</strong> reconstruction<br />

pathologique <strong>de</strong> compensation. La communion <strong>de</strong> Régis Debray est<br />

une valeur absolue <strong>de</strong> la collectivité, puisqu’elle assure sa pérénnité. Ses<br />

références dépassent nécessairement l’enten<strong>de</strong>ment, puisqu’elles sont une<br />

raison <strong>de</strong> vivre. En 200 , dans Dieu un itinéraire, Debray nomme invariant<br />

cette valeur absolue:<br />

« Dieu a connu toutes sortes d’états qui en font un invariant du tréfonds<br />

religieux <strong>de</strong> l’humanité. [...] Dieu est l’ombre <strong>de</strong> l’homme : Il avance et<br />

donc se transforme avec lui. Sa place sera toujours là. »<br />

Que <strong>de</strong> stabilité dans son évolution, en effet: <strong>de</strong>puis le Dieu <strong>de</strong> la toute-puissance<br />

et <strong>de</strong> la colère <strong>de</strong>s juifs <strong>de</strong> l’Ancien Testament, le Dieu d’intériorité<br />

et <strong>de</strong> consolation <strong>de</strong>s chrétiens, le Dieu grand architecte <strong>de</strong>s philosophes<br />

<strong>de</strong>s Lumières et le Dieu perçu par un grand nombre <strong>de</strong> nos contemporains<br />

comme une sorte d’énergie cosmique traversant la nature humaine.<br />

Cependant nos efforts instinctifs pour soumettre l’invariant <strong>de</strong> notre tréfond<br />

collectif à notre capacité d’enten<strong>de</strong>ment ont en même temps pétrifié<br />

une valeur fondamentale: celle, transcendantale, qui pousse à la recherche,<br />

cet horizon qui appelle, donnant naissance à ce que le poète et résistant<br />

René Char nomme «l’aventure personnelle, l’aventure prodiguée, communautés<br />

<strong>de</strong> nos aurores».<br />

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