Le Sang du Rock Tome 2 - Index of

—Je suis donc libre pour le reste de la nuit. (Il se tourne vers Lori.) On va boire un verre ?
—Avec grand plaisir, je lui réponds, sans tenir compte de la grimace de Lori.
Il est hors de question que je les laisse seuls. Il aura encore besoin de sang avant l'aube.
Shane achève son morceau marathon et hoche la tête pour remercier le public de ses applaudissements. Il
consulte l'horloge. Il est 22h55, soit assez de temps pour une autre chanson, mais Regina souhaite
manifestement qu'il la rejoigne sur-le-champ. Elle se tient droite, les lèvres serrées, l'air des plus
impatients.
Il fait jouer les articulations de ses doigts, regarde un long moment son étui à guitare, puis se tourne vers
moi. Je me demande si Regina a surpris son clin d'œil.
Il approche le micro de ses lèvres, prépare son médiator juste au-dessus des cordes de son instrument, et
chuchote le premier vers.
—« Mother, do you think they'll drop the bomb' »?11
La foule applaudit et Regina serre le poing. Elle a naturellement reconnu le titre des Pink Floyd, extrait de
The Wall, qui traite ouvertement d'un thème œdipien.
Elle sort un paquet de cigarettes de la poche intérieure de sa veste de cuir noir avant d'en glisser une dans
sa bouche. Le patron du bar se dirige vers elle et se fige 11 Littéralement : « Maman, crois-tu qu'ils vont
larguer la bombe? ». (NdT) quand elle lui lance un regard cinglant. Regina finit par quitter les lieux,
allumant sa cigarette un millième de seconde après avoir franchi le seuil du bar.
Shane poursuit son morceau, sa voix plaintive reconnaissant l'emprise que cette femme a sur lui tout en la
refusant. Elle l'observe par la vitre, son visage pâle faisant penser à la lune dans le ciel nocturne, et sa
cigarette à une étoile.
Je me lève et me faufile entre les tables, devant la minuscule scène, pour gagner la fenêtre.
Le majeur tendu de façon que Regina puisse le voir, je tire le rideau devant le visage de cette créature qui
a redonné « vie » à mon mec, devant ce regard qui me glace le sang.
Le pub O’Leary est bondé, comme tous les soirs depuis la fermeture temporaire du Cochon qui fume. Il y
a bien d’autres cafés à Sherwood - des bars où il est possible de suivre des événements sportifs sur grand
écran, généralement au milieu de restaurants et de boutiques, ou des bouis-bouis dans les collines -, mais,
pour les moins de trente ans, le O’Leary est la seule alternative au Cochon.
Une excellente adresse, au demeurant. Tandis que Lori et Travis tentent de s'impressionner mutuellement,
je tâche de surmonter mon désarroi en observant un duo de musiciens irlandais s'époumoner sur des
ballades et des morceaux folkloriques. J'essaie d'apprécier la musique pour ce qu'elle est et d'éviter de
penser à mon père ou à sa vaste famille d'escrocs.
Ici, en un lieu où presque personne ne sait qui je suis, il serait facile de succomber à mon désir génétique
de soulager un pauvre nigaud de 10 ou 20 dollars.