Le Sang du Rock Tome 2 - Index of

Je me tourne vers Shane, qui a fermé les yeux. Je me demande ce que je ressentirais si mon père était
mort. Je suppose que je serais à la fois triste, furieuse, soulagée, et beaucoup d'autres choses encore.
Shane se laisse tomber sur un genou et tend la main, comme s'il voulait effleurer la terre. Puis il la retire
brusquement et l'enfouit sous son autre bras. Je me demande si le terrain est consacré, s'il est susceptible
de le brûler comme de l'eau bénite. Les deux femmes s'approchent.
Le vent souffle dans les branches d'un arbre nu, non loin. J'ai l'impression qu'un squelette est en train de
se reconstituer, os après os, et qu'il ne va pas tarder à sortir de terre et nous saluer. Le bruit des feuilles
mortes qui glissent sur le macadam me fait penser à celui de cadavres grattant avec leurs ongles
l'intérieur de leurs cercueils.
J'inspire profondément par le nez pour me calmer. Les cimetières ne sont pas des lieux propices pour
laisser libre cours à son imagination.
Les deux femmes se trouvent à présent à quelques allées de la nôtre. Shane reste agenouillé, la tête
baissée, même si je suis certaine qu'avec son ouïe ultrasensible il les a entendues.
Je me tourne vers la plus jeune, celle qui tient la couronne. Elle nous observe.
Elle tape sur l'épaule de son aînée, l'interrompant en pleine prière. Elles se concertent un moment, puis la
moins âgée s'approche.
— Qui êtes-vous ? demande-t-elle. Que faites-vous devant la tombe de mon père ?
Shane se raidit. Il redresse brusquement la tête et se tourne vers moi, le regard paniqué. Grillés.
—Allons-y, je chuchote. On peut y arriver si on court.
Il se lève lentement et se tourne vers elle en étant sa capuche.
—Salut, Eileen.
La femme laisse tomber la couronne et porte la main à ses lèvres.
—Shane ? (La plus âgée se précipite vers nous, avant de se figer à quelques mètres.) C'est toi, Shane ?
C'est vraiment toi ?
Il se décompose, et sa voix se met à chevroter.
—Maman...
Elle parcourt en trébuchant les quelques pas qui les séparent avant de se jeter dans ses bras. Il la serre
très fort contre lui, produisant quelques sons inintelligibles de réconfort et de contrition.
—Laisse-moi te regarder, Shane. (Sa mère lui prend le visage entre les mains.) Doux Jésus, tu es plus
beau que jamais.
J'observe Eileen, qui, malgré une larme qui roule sur sa joue, regarde son frère avec une franche hostilité.