La Fille Élisa - Edmond de Goncourt - Éditions du Boucher
La Fille Élisa - Edmond de Goncourt - Éditions du Boucher
La Fille Élisa - Edmond de Goncourt - Éditions du Boucher
You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
LA FILLE ÉLISA<br />
XLV<br />
C’était un trou noir dans lequel tombait un rayon <strong>de</strong> soleil, traversé<br />
d’envolées <strong>de</strong> pigeons ramiers, <strong>de</strong> roucoulements, <strong>de</strong> froufrous<br />
d’ailes, <strong>de</strong> vols nuant et changeant <strong>de</strong> couleurs, dans leurs<br />
rapi<strong>de</strong>s et incessants passages <strong>de</strong> l’ombre à la lumière, <strong>de</strong> la<br />
lumière à l’ombre. Au milieu <strong>de</strong> ce tourbillonnement ailé, la fine<br />
pluie d’un jet d’eau retombait dans une gran<strong>de</strong> coupe <strong>de</strong> verre<br />
bleu, scellée sur un rocher en coquilles d’escargots, et où <strong>de</strong><br />
petits poissons, aux frétillements d’argent, tournoyaient, tournoyaient<br />
sans relâche autour d’un bec <strong>de</strong> gaz. Attaché à la barre<br />
d’une fenêtre, un vieux corbeau qui pouvait bien avoir cent ans,<br />
et paraissait avoir per<strong>du</strong> son bon sens d’oiseau, sautillait perpétuellement<br />
sur une seule patte. <strong>La</strong> fenêtre entrouverte montrait,<br />
sur la cheminée, à côté d’une couronne <strong>de</strong> mariée sous un globe,<br />
un troublet à prendre les goujons qui nageaient dans la coupe <strong>de</strong><br />
verre bleu.<br />
<strong>Élisa</strong> voyait le petit trou noir et ensoleillé, comme si, <strong>de</strong> la<br />
table <strong>du</strong> restaurant <strong>de</strong> la Halle où elle était assise, le jour <strong>de</strong> sa<br />
<strong>de</strong>rnière sortie, elle regardait encore dans la petite cour intérieure,<br />
au-<strong>de</strong>ssus <strong>du</strong> toit en vitrage <strong>de</strong> la cuisine. Oh! le bon commencement<br />
<strong>de</strong> journée… Un si beau restaurant pour elle qui<br />
n’avait jamais mis les pieds que chez <strong>de</strong>s marchands <strong>de</strong> vin <strong>de</strong><br />
barrière… Et les gens à côté d’elle, qui ne faisaient pas le semblant<br />
<strong>de</strong> la mépriser… Et le garçon qui lui disait « Madame »<br />
comme aux vraies Madames qui étaient là… Après, on avait pris<br />
un mylord… Rouler vite, comme cela, en voiture découverte,<br />
114