La Fille Élisa - Edmond de Goncourt - Éditions du Boucher
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LA FILLE ÉLISA<br />
XXXIII<br />
Elle aima avec les tendresses amassées dans un vieux cœur, qui<br />
n’a point encore aimé.<br />
Elle aima avec l’aliénation d’un cerveau, comme frappé d’une<br />
folie <strong>de</strong> bonheur.<br />
Elle aima avec <strong>de</strong>s délicatesses qu’on ne suppose pas exister<br />
chez ces créatures.<br />
Elle aima avec les douleurs révélées dans cette phrase d’une<br />
fille à un inspecteur <strong>de</strong> police : « M’attacher à un homme, moi…<br />
jamais, il me semble que le contact <strong>de</strong> ma peau le souillerait. »<br />
Car chez cette femme, ayant, par moments, le vomissement <strong>de</strong><br />
l’amour physique, c’était un supplice <strong>de</strong> se livrer « au petit<br />
homme chéri » ainsi qu’aux passants auxquels elle se vendait, <strong>de</strong><br />
lui apporter dans l’acte charnel les restes <strong>de</strong> tous, <strong>de</strong> le salir enfin,<br />
comme disait cette autre, <strong>de</strong> la publicité <strong>de</strong> son contact.<br />
Elle eût voulu l’aimer, être aimée <strong>de</strong> lui, rien qu’avec <strong>de</strong>s<br />
lèvres qui embrasseraient toujours.<br />
Et continuellement sa tête, dans l’élancement pur d’un rêve<br />
chaste, forgeait, entre elle et le lignard aux fleurs, <strong>de</strong>s amours<br />
avec <strong>de</strong>s tendresses ignorantes, avec <strong>de</strong>s caresses ingénues, avec<br />
<strong>de</strong>s baisers innocents et doux, baisers qu’elle se rappelait avoir<br />
reçus autrefois, toute petite fille, d’un amoureux <strong>de</strong> son âge.<br />
Elle avait honte vraiment <strong>de</strong> dire cela à un soldat. Mais bien<br />
souvent la révolte secrète <strong>de</strong> son corps, se dérobant aux ar<strong>de</strong>urs<br />
amoureuses <strong>de</strong> son amant, se tra<strong>du</strong>isait en <strong>de</strong>s résistances<br />
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