13.07.2013 Views

La Fille Élisa - Edmond de Goncourt - Éditions du Boucher

La Fille Élisa - Edmond de Goncourt - Éditions du Boucher

La Fille Élisa - Edmond de Goncourt - Éditions du Boucher

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

EDMOND & JULES DE GONCOURT<br />

« Était-ce là? » Elle croyait avoir enten<strong>du</strong> crier le nom <strong>de</strong><br />

l’endroit qu’on lui avait nommé à Paris. Instinctivement, elle se<br />

rencogna dans sa place, avec le pelotonnement d’une enfant, se<br />

faisant toute petite sous la menace d’une chose qui lui fait peur.<br />

« Non, ce n’était pas encore là, tout le mon<strong>de</strong> était <strong>de</strong>scen<strong>du</strong>!…<br />

on n’était pas venu la chercher. »<br />

<strong>La</strong> portière s’ouvrit brusquement. Une voix <strong>du</strong>re lui dit <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>scendre.<br />

Elle se levait, mais ses yeux déshabitués <strong>de</strong> la lumière, ne<br />

voyant, <strong>de</strong>puis plusieurs jours que les ténèbres <strong>de</strong> la chambre <strong>du</strong><br />

condamné à mort, eurent, un moment, un éblouissement <strong>de</strong><br />

l’aveuglant soleil d’hiver qui éclairait le <strong>de</strong>hors, et comme son<br />

pied hésitant tâtonnait les marches pour <strong>de</strong>scendre, l’homme à la<br />

voix <strong>du</strong>re la poussa assez ru<strong>de</strong>ment.<br />

Elle avait eu, à Paris, une terreur <strong>de</strong> la foule amassée autour<br />

d’elle, aux cris <strong>de</strong> : l’assassine, v’là l’assassine! elle redoutait cette<br />

foule à la gare <strong>de</strong> la ville, où se trouvait la prison. Personne n’était<br />

plus là. On avait atten<strong>du</strong>, pour son transfèrement, que la station<br />

fût vi<strong>de</strong>.<br />

<strong>Élisa</strong> cherchait <strong>de</strong> l’œil la voiture qui <strong>de</strong>vait la con<strong>du</strong>ire à la<br />

prison, quand <strong>de</strong>ux hommes vêtus <strong>de</strong> bleu s’approchèrent <strong>de</strong><br />

chaque côté d’elle et la firent marcher entre eux. L’administration<br />

faisait l’économie d’un omnibus, quand le service <strong>de</strong>s prisons<br />

ne lui amenait qu’une ou <strong>de</strong>ux condamnées.<br />

Elle côtoyait, entre ses <strong>de</strong>ux gardiens silencieux, <strong>de</strong>s maisons<br />

<strong>de</strong> faubourg. Les rares passants qui la croisaient ne levaient pas<br />

même la tête. Il y avait une telle habitu<strong>de</strong> à Noirlieu <strong>de</strong> voir tous<br />

les jours passer <strong>de</strong>s prisonnières!<br />

Elle prenait une rue montante entre <strong>de</strong>s jardins dont les arbres<br />

se penchaient au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>s murs. Du givre était tombé la nuit. Il<br />

avait gelé le matin. Le soleil brillait alors. Les arbres qui avaient<br />

conservé leurs feuilles paraissaient avoir <strong>de</strong>s feuilles <strong>de</strong> cristal, et<br />

les enveloppes glacées <strong>de</strong> ces feuilles tombaient, à tout moment,<br />

faisant dans la rue, autour d’elle, sur le pavé, le bruit léger <strong>de</strong><br />

verre cassé.<br />

Elle croyait passer sous une ancienne porte <strong>de</strong> ville où, dans la<br />

vieille pierre, avait pris racine un grand arbre.<br />

Elle était comme mal éveillée, et ses pieds la portaient sans<br />

qu’elle se sentît marcher.<br />

91

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!