La Fille Élisa - Edmond de Goncourt - Éditions du Boucher
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LA FILLE ÉLISA<br />
À un détour, elle se trouva inopinément en face d’une grille<br />
peinte en rouge toute gran<strong>de</strong> ouverte. Elle gravissait alors, avec<br />
un pas qui se raidissait dans la résolution d’en finir, une ruelle<br />
resserrée entre <strong>de</strong>s clôtures <strong>de</strong> jardinets, aux grands rosiers échevelés,<br />
dont l’un la faisait tressaillir, en lui égratignant le cou.<br />
De loin, <strong>de</strong>vant elle, elle pouvait lire, en lettres noires, sur le<br />
plâtre blanc d’une gran<strong>de</strong> porte cochère : MAISON CENTRALE DE<br />
FORCE ET CORRECTIONNELLE.<br />
<strong>La</strong> porte cochère s’ouvrait. Elle se figurait déjà enfermée entre<br />
quatre murs. Quand elle voyait encore <strong>du</strong> ciel au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> sa<br />
tête, elle respirait longuement, presque bruyamment. Elle était<br />
dans une cour aux angles <strong>de</strong> laquelle s’élevaient quatre bâtiments<br />
neufs bâtis d’une brique à la couleur gaie. Dans cette cour<br />
balayaient <strong>de</strong>s femmes en cornettes rouges, en casaquins bleus,<br />
en sabots, — <strong>de</strong>s femmes, dont les regards en <strong>de</strong>ssous avaient<br />
une expression qu’elle n’avait point encore rencontrée dans les<br />
yeux <strong>de</strong> créatures en liberté.<br />
Les <strong>de</strong>ux gardiens, entre lesquels elle marchait toujours, la<br />
firent se diriger vers un perron s’avançant au bas d’une manière<br />
<strong>de</strong> donjon encastré dans les constructions mo<strong>de</strong>rnes.<br />
Elle entrait dans un vestibule où elle apercevait un petit poêle,<br />
un bureau couvert <strong>de</strong> gros registres dans le renfoncement d’une<br />
fenêtre, et, par la porte d’un cabinet entrouvert, le pied d’un lit<br />
<strong>de</strong> sangle.<br />
L’homme <strong>du</strong> guichet lui <strong>de</strong>mandait son argent, ses bijoux.<br />
Elle retirait <strong>de</strong> sa poche son porte-monnaie, ôtait <strong>de</strong> son cou<br />
une petite médaille, détachait <strong>de</strong> ses oreilles <strong>de</strong> grosses pen<strong>de</strong>loques.<br />
L’homme lui faisait remarquer qu’elle avait encore une bague<br />
à un doigt.<br />
C’était une pauvre bague en argent avec un cœur sur un morceau<br />
<strong>de</strong> verre bleu.<br />
Elle l’enlevait <strong>de</strong> son doigt, comme à regret, tout en regardant,<br />
sans que ses yeux pussent s’en détourner, la barrière séparant la<br />
pièce en <strong>de</strong>ux : une barrière en gros pieux équarris, comme elle<br />
se rappelait en avoir vu une, autour <strong>de</strong>s éléphants, un jour qu’elle<br />
avait été au Jardin <strong>de</strong>s plantes.<br />
Fixant la fermeture, la porte <strong>de</strong> fer, avec <strong>de</strong>s narines qui se<br />
gonflaient et le hérissement d’un animal sauvage qui flaire la cage<br />
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