La Fille Élisa - Edmond de Goncourt - Éditions du Boucher
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LA FILLE ÉLISA<br />
pour ainsi dire physique, qui se refusait presque à se laisser<br />
approcher <strong>de</strong> ces malheureuses.<br />
Le doute morne et désolé <strong>de</strong> la supérieure était, chez l’aumônier,<br />
un doute jovial incarné dans la verdissante vieillesse d’un<br />
prêtre bourguignon qui, <strong>de</strong>puis longtemps, tout digne homme <strong>du</strong><br />
Seigneur qu’il était, avait fait gaillar<strong>de</strong>ment son <strong>de</strong>uil <strong>de</strong> la<br />
conversion <strong>de</strong>s correctionnelles et <strong>de</strong>s criminelles, « toutes<br />
pécheresses, affirmait-il, nées et condamnées à mourir dans la<br />
peau <strong>de</strong> la perversité innée ». Pour ses ouailles qu’il déclarait<br />
ainsi pré<strong>de</strong>stinées à la damnation, l’aumônier n’avait au fond<br />
aucune répulsion, lui! il s’en entretenait même, avec un peu <strong>de</strong><br />
cette parole paterne qu’ont les magistrats pour les notables<br />
gredins qu’ils envoient aux galères. <strong>Élisa</strong> tombait mal avec le<br />
clairvoyant bonhomme. Plusieurs fois, pendant ses petits<br />
sermons <strong>du</strong> dimanche, l’aumônier avait remarqué <strong>Élisa</strong> faisant,<br />
sur le visage un moment attendri d’une compagne, rebrousser la<br />
contrition avec l’incré<strong>du</strong>lité d’un regard gouailleur.<br />
Ne se sentant ni aidée ni encouragée par la supérieure et<br />
l’aumônier, <strong>Élisa</strong> se rabattait sur les sœurs avec lesquelles les<br />
habitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> la prison la mettaient le plus souvent en rapport. Et<br />
peut-être, il faut le dire, cette comédie <strong>de</strong> religiosité jouée dans<br />
un intérêt tout humain, serait-elle <strong>de</strong>venue une dévotion vraie si,<br />
en ce moment d’amollissement, <strong>Élisa</strong> avait trouvé autour d’elle<br />
un peu <strong>de</strong> tendresse spirituelle.<br />
<strong>Élisa</strong> n’avait jamais été impie. Elle avait toujours conservé,<br />
même dans son métier, <strong>de</strong>s pratiques religieuses ou au moins<br />
superstitieuses, et le greffe <strong>de</strong> Noirlieu gardait la petite médaille<br />
<strong>de</strong> la Vierge qu’elle avait au cou, lorsqu’elle avait été écrouée. Au<br />
fond, l’apparente affectation irréligieuse qu’avait surprise<br />
l’aumônier, ne s’était témoignée chez <strong>Élisa</strong> que dans la maison <strong>de</strong><br />
détention, et seulement parce que l’insoumise prisonnière trouvait<br />
là, dans la religion, l’auxiliaire <strong>de</strong> l’autorité. Cette tendresse<br />
qu’elle appelait, <strong>Élisa</strong> ne la rencontra pas chez les sœurs.<br />
Vraiment! on ne peut <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à ces femmes d’élection <strong>de</strong><br />
s’abandonner tout entières au Crime, ainsi qu’elles s’abandonnent<br />
à la Misère, à la Maladie, à la Douleur. Ce serait trop exiger<br />
<strong>de</strong> ces êtres purs, aux petits péchés véniels, <strong>de</strong> se rapprocher et<br />
<strong>de</strong> se confondre dans une intimité d’âme avec l’assassine, avec la<br />
voleuse, avec toutes les scélérates amenées en leur compagnie<br />
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