LA FILLE ÉLISA pour ainsi dire physique, qui se refusait presque à se laisser approcher <strong>de</strong> ces malheureuses. Le doute morne et désolé <strong>de</strong> la supérieure était, chez l’aumônier, un doute jovial incarné dans la verdissante vieillesse d’un prêtre bourguignon qui, <strong>de</strong>puis longtemps, tout digne homme <strong>du</strong> Seigneur qu’il était, avait fait gaillar<strong>de</strong>ment son <strong>de</strong>uil <strong>de</strong> la conversion <strong>de</strong>s correctionnelles et <strong>de</strong>s criminelles, « toutes pécheresses, affirmait-il, nées et condamnées à mourir dans la peau <strong>de</strong> la perversité innée ». Pour ses ouailles qu’il déclarait ainsi pré<strong>de</strong>stinées à la damnation, l’aumônier n’avait au fond aucune répulsion, lui! il s’en entretenait même, avec un peu <strong>de</strong> cette parole paterne qu’ont les magistrats pour les notables gredins qu’ils envoient aux galères. <strong>Élisa</strong> tombait mal avec le clairvoyant bonhomme. Plusieurs fois, pendant ses petits sermons <strong>du</strong> dimanche, l’aumônier avait remarqué <strong>Élisa</strong> faisant, sur le visage un moment attendri d’une compagne, rebrousser la contrition avec l’incré<strong>du</strong>lité d’un regard gouailleur. Ne se sentant ni aidée ni encouragée par la supérieure et l’aumônier, <strong>Élisa</strong> se rabattait sur les sœurs avec lesquelles les habitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> la prison la mettaient le plus souvent en rapport. Et peut-être, il faut le dire, cette comédie <strong>de</strong> religiosité jouée dans un intérêt tout humain, serait-elle <strong>de</strong>venue une dévotion vraie si, en ce moment d’amollissement, <strong>Élisa</strong> avait trouvé autour d’elle un peu <strong>de</strong> tendresse spirituelle. <strong>Élisa</strong> n’avait jamais été impie. Elle avait toujours conservé, même dans son métier, <strong>de</strong>s pratiques religieuses ou au moins superstitieuses, et le greffe <strong>de</strong> Noirlieu gardait la petite médaille <strong>de</strong> la Vierge qu’elle avait au cou, lorsqu’elle avait été écrouée. Au fond, l’apparente affectation irréligieuse qu’avait surprise l’aumônier, ne s’était témoignée chez <strong>Élisa</strong> que dans la maison <strong>de</strong> détention, et seulement parce que l’insoumise prisonnière trouvait là, dans la religion, l’auxiliaire <strong>de</strong> l’autorité. Cette tendresse qu’elle appelait, <strong>Élisa</strong> ne la rencontra pas chez les sœurs. Vraiment! on ne peut <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à ces femmes d’élection <strong>de</strong> s’abandonner tout entières au Crime, ainsi qu’elles s’abandonnent à la Misère, à la Maladie, à la Douleur. Ce serait trop exiger <strong>de</strong> ces êtres purs, aux petits péchés véniels, <strong>de</strong> se rapprocher et <strong>de</strong> se confondre dans une intimité d’âme avec l’assassine, avec la voleuse, avec toutes les scélérates amenées en leur compagnie 132
EDMOND & JULES DE GONCOURT par les verdicts <strong>de</strong>s tribunaux. Les sœurs peuvent bien donner à la gar<strong>de</strong>, au soulagement matériel <strong>de</strong> ces créatures, leurs forces, leur santé, leur vie, mais cela d’ému, d’attendri, <strong>de</strong> caressant à la manière d’une sœur en Dieu, cela qu’elles accor<strong>de</strong>nt à l’Honnêteté pauvre et au Malheur immérité, non! Il y a là quelque chose <strong>de</strong> défen<strong>du</strong> à la perfection terrestre <strong>de</strong> la religieuse. Supérieure, sœurs, aumônier, sans repousser absolument <strong>Élisa</strong>, lui faisaient sentir qu’on la savait dévotieuse dans le seul but d’être portée au Tableau <strong>de</strong>s grâces. 133