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La Fille Élisa - Edmond de Goncourt - Éditions du Boucher

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EDMOND & JULES DE GONCOURT<br />

C’était <strong>Élisa</strong> qui se relevait brusquement, marchant, encore<br />

une fois, vers la sortie <strong>du</strong> cimetière.<br />

Elle avait au-<strong>de</strong>dans d’elle le pressentiment qu’un malheur<br />

allait arriver, et cependant ses pieds étaient lents à la porter<br />

<strong>de</strong>hors.<br />

Elle marchait à petits pas et, tout en marchant, avait tiré son<br />

couteau dont elle ratissait les épines <strong>de</strong>s branches <strong>de</strong> rosiers<br />

qu’elle glissait dans son bouquet d’herbes <strong>de</strong>s champs.<br />

Elle était arrivée dans un angle <strong>du</strong> cimetière, le long <strong>de</strong> la loge<br />

ruinée <strong>du</strong> gardien d’autrefois, dans un endroit où le terrain<br />

s’abaissant, se relevant, avait comme <strong>de</strong>s on<strong>du</strong>lations <strong>de</strong> vagues.<br />

Deux ou trois personnes entrées par hasard, après un regard<br />

jeté en ce lieu abandonné, étaient ressorties.<br />

Lui alors s’allongeait dans un <strong>de</strong>s creux comme s’il voulait un<br />

peu sommeiller. Elle s’asseyait à ses côtés.<br />

Et tout en arrangeant son bouquet, et en faisant passer son<br />

couteau d’une main dans l’autre, avec les caresses calmantes que<br />

les mères promènent sur le visage <strong>de</strong> leurs enfants, <strong>de</strong> sa main<br />

libre elle fermait les yeux ar<strong>de</strong>nts <strong>de</strong> son amant, en lui disant :<br />

—Dors!<br />

Soudain, sans une parole, sans un mot, elle sentait sur elle les<br />

violences et la brutalité d’un viol, et dans l’effort rageur qu’elle<br />

tentait pour se dégager <strong>de</strong> l’étreinte furieuse qui lui faisait mal,<br />

elle avait l’impression d’être souffletée par les <strong>de</strong>ux mains<br />

dénouées autour <strong>de</strong> son cou.<br />

— Ne me tente pas, je vois rouge! s’écriait <strong>Élisa</strong>, dressée toute<br />

droite, son couteau à la main, <strong>Élisa</strong> chez laquelle la courte lutte<br />

avait fait monter au cerveau la folie d’une <strong>de</strong> ces homici<strong>de</strong>s<br />

colères <strong>de</strong> prostituées.<br />

« Ah! ce moment, elle ne se le rappelait que trop! Il faisait un<br />

coup <strong>de</strong> soleil brûlant, comme il en fait en avril… l’air était tout<br />

bourdonnant <strong>de</strong> petites bêtes volantes… <strong>de</strong>s o<strong>de</strong>urs sucrées, ressemblant<br />

au goût <strong>du</strong> miel <strong>de</strong>s cerisiers en fleurs <strong>de</strong> son pays,<br />

montaient <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s broussailles couchées sur les tombes… il<br />

n’y avait pas encore <strong>de</strong> feuilles aux arbres, mais tout plein <strong>de</strong><br />

bourgeons gonflés et luisants,… et, au milieu <strong>de</strong> cela, elle voyait<br />

<strong>de</strong>vant elle le visage <strong>de</strong> son amant qui avait sur la figure un rire<br />

bête et tout drôle. »<br />

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