La Fille Élisa - Edmond de Goncourt - Éditions du Boucher
La Fille Élisa - Edmond de Goncourt - Éditions du Boucher
La Fille Élisa - Edmond de Goncourt - Éditions du Boucher
You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
EDMOND & JULES DE GONCOURT<br />
XXVII<br />
Neuf femmes, qui n’étaient guère connues que sous <strong>de</strong>s noms <strong>de</strong><br />
guerre, composaient, lors <strong>de</strong> l’entrée d’<strong>Élisa</strong>, le personnel <strong>de</strong> la<br />
maison.<br />
Marie Coup-<strong>de</strong>-Sabre, une corpulente brune, légèrement<br />
moustachue, <strong>de</strong>vait son surnom à une estafila<strong>de</strong> qu’elle avait<br />
reçue dans une rixe. Sé<strong>du</strong>ite dans son pays par un dragon, elle<br />
l’avait suivi à l’état vaguant <strong>de</strong> ces femmes qui s’attachent à un<br />
régiment, et campent à la belle étoile autour <strong>de</strong> la caserne, nourries,<br />
la plupart <strong>du</strong> temps, d’un morceau <strong>de</strong> pain <strong>de</strong> munition<br />
apporté sous la capote. Plus tard elle avait vécu et vécu seulement<br />
dans <strong>de</strong>s maisons <strong>de</strong> villes <strong>de</strong> garnison. Marie Coup-<strong>de</strong>-<br />
Sabre représentait le type parfait <strong>de</strong> la fille à soldat. Pour elle les<br />
bourgeois, les pékins étaient comme s’ils n’existaient pas. Il n’y<br />
avait d’hommes, à ses yeux, que les hommes en uniformes. Toutefois,<br />
pleine d’un certain dédain pour le fantassin, et mettant<br />
son orgueil à ne pas frayer avec l’infanterie, il lui semblait déroger<br />
en acceptant le mêlé d’un trouba<strong>de</strong>. <strong>La</strong> tête, les sens <strong>de</strong> Marie<br />
Coup-<strong>de</strong>-Sabre ne se montaient qu’en l’honneur <strong>de</strong> la cavalerie.<br />
Seuls, les hommes à casques et à lattes lui apparaissaient, comme<br />
l’aristocratie guerrière, uniquement dignes <strong>de</strong> ses faveurs et <strong>de</strong><br />
ses complaisances.<br />
<strong>La</strong> conversation <strong>de</strong> Marie Coup-<strong>de</strong>-Sabre était habituellement<br />
émaillée <strong>de</strong> locutions militaires. Et toujours, après <strong>de</strong>ux ou trois<br />
éclats <strong>de</strong> voix barytonnante avec lesquels elle cherchait à ressaisir<br />
la logique avinée <strong>de</strong> ses idées, elle commençait ses récits par cette<br />
69